1 – Introduction
La notion de marché public est constituée de plusieurs sous-catégories, d’après l’article L. 1110-1 du CCP : le marché, au sens classique du terme, pour reprendre l’expression de la fiche de la direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l’économie et des finances sur les « Contrats de la commande publique et autres contrats » (p. 1), mais aussi le marché de partenariat et le marché de défense ou de sécurité. Le présent dossier est consacré à la notion de marchés au sens classique, les deux autres notions faisant l’objet de dossiers à part entière. La notion de marchés résulte de la définition donnée à l’article L. 1111-1 du CCP, cité ci-après , qui comporte quatre éléments : un élément formel (contrat), un élément financier (un prix ou tout équivalent), un élément organique (acheteur et opérateur économique) et un élément matériel (besoins de l’acheteur). Chacun de ces éléments a connu une extension notable depuis plusieurs années par l’effet des modifications textuelles mais surtout par l’effet de la jurisprudence, notamment européenne. L’élément organique faisant l’objet d’un livre II dans le CCP et d’un dossier à part dans cette encyclopédie, il n’est pas étudié dans le présent dossier.
Selon l’article L. 1111-1 du CCP, « un marché est un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au présent code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent ». Cette définition ne distingue donc plus accord-cadre et marché public pour le cantonner l’accord-cadre à ce qu’il est : une technique d’achat parmi d’autres (voir le dossier sur les techniques d’achat).
REMARQUE
Jusqu’à l’ordonnance introduisant le Code de la commande publique, le droit français ne rangeait pas l’accord-cadre dans la définition du marché, contrairement au droit européen. Même selon le projet d’article L. 1111-1 du CCP soumis à concertation, un marché public était « un marché défini à l’article L. 1111-2 ou un accord-cadre défini à l’article L. 1111-3 ». La concertation menée à propos du projet de code a eu le mérite de pousser la direction des affaires juridiques (DAJ) du Ministère de l’économie et des finances à aligner le droit français sur le droit européen. Il n’était en effet pas besoin de distinguer les accords-cadres des marchés puisque la directive 2014/24 ne le fait pas.
Il résulte de la définition de l’article L. 1111-1 du CCP précité que, pour qu’il y ait marché, quatre éléments doivent être présents : un élément formel (un contrat), un élément financier (conclu en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent), un élément organique (passé entre un – ou plusieurs – acheteur soumis au présent code et un – ou plusieurs – opérateur économique) et un élément matériel (pour répondre aux besoins des acheteurs). L’élément organique de la définition faisant l’objet d’un renvoi aux acheteurs et aux opérateurs économiques, définis dans le livre 2 relatif aux « acteurs de la commande publique », il sera renvoyé au dossier correspondant de cette encyclopédie.
Seront donc examinés successivement l’élément formel, l’élément financier et l’élément matériel de la définition du marché.
2 – L’élément formel : un contrat
L’article L. 1111-1 du CCP prévoit que le marché est un « contrat ». Contrairement à la directive citée plus haut, il n’est pas fait allusion à son caractère écrit. Ceci s’explique tout simplement par le fait que l’obligation du caractère écrit du marché n’est imposée par le droit interne, en principe, qu’à compter de 25000 euros HT (R. 2112-1 du CCP). Or, même en dessous de ce seuil, on est en présence d’un marché public, fût-il passé sans écrit, alors que la directive européenne ne concerne que des marchés d’un montant bien supérieur.
REMARQUE
Le caractère « écrit » du marché dans la définition de la directive vise en réalité non pas un élément de sa définition mais une obligation à respecter. Une interprétation inverse conduirait à facilement échapper aux obligations du droit de la commande publique s’il suffisait d’invoquer l’absence d’écrit pour conclure à l’inexistence d’un marché public. Il en va de même des cas où un écrit est requis en droit interne. Outre l’ensemble des marchés supérieurs à 25 000 euros HT, l’obligation d’un écrit s’impose quel que soit le montant pour : les marchés de conduite d’opération (article L. 2422-3 du CCP), les mandats de maîtrise d’ouvrage (article L. 2422-7 du CCP), les marchés publics d’assurances (article L. 112-3 du code des assurances) et les marchés publics de prestations de services juridiques conclus avec des avocats (articles 7 et 10 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971).
L’élément formel de la notion de marché tient donc à l’existence d’un contrat et ce contrat peut être verbal (cf. CE 4 juillet 1975, n°94137, Ville d’Anthony). Et il ne faut pas ici trop s’attacher à la forme, du moins à la forme retenue par les parties : pour qu’il y ait marché, il importe peu que les parties aient appelé les rapports qu’elles nouent « contrat », il faut qu’elles soient en relations véritablement contractuelles. A l’inverse, l’absence de tout document intitulé « contrat » n’exclut pas la qualification de marché : ce qui compte est là encore l’existence d’un véritable rapport contractuel.
La jurisprudence administrative, comme la jurisprudence judiciaire, a, depuis longtemps, illustré la notion de contrat. Mais c’est souvent dans un autre but que celui de la qualification de marché public ou de contrat de concession. Pour la jurisprudence administrative, en dehors du contexte du droit de la commande publique, il s’agit généralement de déterminer si on est en présence d’un contrat administratif ou d’un acte administratif unilatéral, avec surtout la conséquence que le recours pour excès de pouvoir n’est pas ouvert dans le premier cas sauf rarissimes exceptions. Les critères alors mis en œuvre peuvent différer de ceux utilisés pour admettre un contrat dans un contexte de commande publique. En effet, le juge pourra requalifier en acte administratif unilatéral ce qui est dénommé contrat (CE 21 décembre 2007, n°299608, Clinique Saint-Roch ; CE 21 octobre 1988, n°70066, SARL Cetra, rec. p. 364 : la convention « était soumise aux mêmes conditions de précarité que l’autorisation unilatérale initiale qu’elle prolongeait»). Inversement, un acte d’apparence unilatérale peut être requalifié en contrat (CE 25 novembre 1994, n°137318, Soc. Aticam, Rec. p. 514 : un « règlement d’exploitation » de hangars annexé à un véritable contrat d’occupation du domaine public constitue un document contractuel). Enfin, le juge administratif peut dénier être en présence d’un contrat, faute d’effet juridique à l’image des rapports entre directeurs de thèse et doctorants (CE 21 décembre 2001, n°220997).
On le voit, la jurisprudence administrative traditionnelle se fonde sur différents motifs pour conclure dans certains cas à l’absence ou à la présence de contrats, suivant le contexte en cause et les textes applicables. On ne peut donc s’en inspirer de manière satisfaisante dans un contexte propre au droit de la commande publique et il faut bien veiller à ne pas transposer purement et simplement les critères adoptés pour admettre l’existence d’un contrat administratif ou d’un contrat de droit privé en dehors de la commande publique à un contexte de commande publique. En effet, la tendance naturelle, dans un contexte de commande publique, est d’étendre la notion de contrat afin de s’assurer du respect des obligations de mise en concurrence. Encore convient-il de distinguer à cet égard entre jurisprudence interne et européenne car les critères ne sont pas strictement identiques.
2.1 – Les critères du contrat dans la jurisprudence interne relative à la commande publique
La Direction des affaires juridiques du Minefi n’omet pas de faire référence à ce critère de la présence d’un contrat dans la définition du marché, sans toutefois mettre en avant le caractère extensif de la notion de contrat dans ce cadre.
DOCTRINE OFFICIELLE
Fiche de la DAJ sur les « Contrats de la commande publique et autres contrats », p. 2 : « La définition de marché public suppose l’existence d’un contrat. À l’inverse, la dévolution strictement unilatérale ne peut être qualifiée de marché public. En effet, l’investiture par voie unilatérale d’un opérateur, même pour accomplir une mission d’intérêt général, n’implique pas de lien contractuel. Afin de déterminer l’existence d’un tel acte unilatéral, il convient de vérifier si cet acte manifeste le fait d’imposer à un opérateur des conditions qui se départissent sensiblement des conditions normales de l’offre commerciale de l’opérateur économique ».
Il est exact de dire que c’est surtout au regard de la distinction entre contrat et acte unilatéral que les juges se sont prononcés.
Le Conseil d’Etat a été amené à requalifier en marché public ce qui était initialement présenté comme un acte unilatéral mais aussi, à l’inverse, à écarter l’existence de tout contrat de commande publique alors même que les parties faisaient allusion à un contrat.
2.1.1 – La qualification contractuelle
La jurisprudence illustre dans différents contextes l’opération de qualification voire de requalification contractuelle.
La solution n’est pas évidente lorsque plusieurs agréments peuvent être délivrés et alors même que les personnes agrées seront payées par la personne publique. La Cour de justice n’y voit pas un marché public dans la mesure où précisément chaque personne remplissant des conditions minimales peuvent bénéficier de l’agrément. En revanche, il y a bien marché et non pour un agrément délivré à une seul entreprise chargée d’une prestation de collecte de visas et alors même que les prix payés par les usagers sont fixés par un cahier des charges.
JURISPRUDENCE
CJUE 1er mars 2018, C-9/17, Maria Tirkkonen (Contrats et Marchés publics n° 5, Mai 2018, comm. 101 par Marion Ubaud-Bergeron): « ne constitue pas un marché public, au sens de cette directive, un système de conseil agricole, tel que celui en cause au principal, par lequel une entité publique retient tous les opérateurs économiques qui remplissent les exigences d’aptitude posées par l’appel d’offres et qui ont réussi l’examen mentionné dans ledit appel d’offres, même si aucun nouvel opérateur ne peut être admis durant la durée de validité limitée de ce système ».
CE 29 juin 2012, n° 357976, Société Pro 2C (BJCP n° 84, septembre-octobre 2012, p. 336, concl. Boulouis, note Sophie Nicinski ; Contrats et marchés publics octobre 2012, comm. 270, note J.-P. Pietri) : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la » décision portant agrément d’un prestataire de services extérieur entre les demandeurs de visas et le service des visas « , signée par la responsable du consulat général de France à Tunis et la société TLS Contact le 2 février 2012, confie à cette dernière, pour une durée de deux ans et comme le permettent les dispositions précitées de l’article 43 du règlement du Parlement et du Conseil du 13 juillet 2009, les tâches matérielles liées à la collecte des dossiers des demandeurs de visa pour la France résidant dans la circonscription du consulat ; que ces tâches ainsi que les obligations du prestataire et les modalités de sa rémunération auprès des demandeurs de visa, et donc le prix payé par les usagers, sont fixées dans le cahier des charges annexé à la » décision d’agrément » et également signé par le consulat et la société TLS Contact ; que, par suite, cet acte doit être regardé comme un contrat de prestations de services ; que ce contrat, conclu après avis des ministres des affaires étrangères et de l’intérieur dans les conditions prévues par le règlement du Parlement et du Conseil du 13 juillet 2009, renvoie aux règles de droit interne relatives à la délivrance des visas, en particulier au décret du 13 août 1981, modifié par le décret du 24 février 1997, fixant le tarif des droits à percevoir dans les chancelleries diplomatiques et consulaires et, en territoire français, par le ministère des relations extérieures, ainsi qu’aux règles de droit interne relatives à la protection des données à caractère personnel ; que ce contrat est, par suite, régi par la loi française ; que, dès lors qu’il comporte des clauses exorbitantes du droit commun, notamment en ce qui concerne le droit permanent de visite et de contrôle de l’administration et la possibilité de résiliation unilatérale au bénéfice de l’administration, il constitue un contrat administratif ; que le juge administratif, compétent pour connaître des litiges nés de la passation et de l’exécution de contrats administratifs qui sont régis par la loi française, est, par suite, compétent pour en connaître ; »
D’agrément l’acte n’avait que le nom : l’objet correspondait clairement à des besoins du ministère, les obligations du prestataire étaient précisément délimitées et en outre, l’acte était signé des deux parties. Dans ses conclusions sur l’affaire, disponibles sur demande au service des conclusions du Conseil d’Etat, Nicolas Boulouis apportaient des précisions : le prestataire s’engageait à fournir une information sous la forme d’un site Internet, d’une plate-forme d’appels et de supports papiers, à collecter des données personnelles des demandeurs et les transmettre à l’administration et à collecter des droits de visa pour le compte de l’autorité consulaire et percevoir des frais de service. Le cahier des charges évoquait le respect des « documents contractuels », définissait une hiérarchie des documents entre eux et précisait qu’il pouvait être modifié par avenant. Bref, il ne manquait que le nom de contrat à cet acte de toute évidence contractuel.
Il est à relever que la suite de l’arrêt montre que le Conseil d’Etat n’applique pas le code des marchés publics, s’agissant d’un contrat conclu et exécuté à l’étranger, mais veille néanmoins au respect des principes de libre accès à la commande publique, d’égalité des candidats et de transparence des procédures, estimant que le droit français est applicable dans le prolongement de l’arrêt TEGOS (CE 21 décembre 1999, n°183648) dès lors qu’il était prévu le respect des règles du droit français relatives aux visas. Il considère en outre être en présence d’un marché public, ce qui n’est pas évident – quoique possible – pour un contrat dans lequel la rémunération du prestataire est assurée par les usagers. Cela étant, il se borne à appliquer les principes généraux susévoqués, qui valent pareillement en matière de marché public et de concession, et non le droit écrit des marchés publics, faisant, de manière prétorienne, du critère du lieu d’exécution un élément de l’applicabilité de ces règles.
La qualification contractuelle pouvait paraître un peu moins évidente à propos de l’intervention, pour des missions de maître d’œuvre, des vérificateurs des monuments historiques à la demande du Centre des monuments nationaux. On était en effet dans un contexte très réglementé : non seulement les honoraires forfaitaires de ces vérificateurs étaient fixés par voie réglementaire, mais en outre ils avaient la qualité de fonctionnaires et un arrêté ministériel procédait à la répartition géographique de leur champ d’intervention.
JURISPRUDENCE
CE 17 octobre 2016, n° 389131, Centre des monuments nationaux : « 4. Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 12 du décret du 5 mai 1987 relatifs aux honoraires et vacations alloués aux architectes en chef des monuments historiques et vérificateurs : » L’intervention des vérificateurs est rémunérée sous forme d’honoraires forfaitaires. Ce forfait est calculé selon les mêmes modalités que le forfait alloué à l’architecte en chef. Son taux est fixé par arrêté des ministres chargés du budget et de la culture » ; que le décret du 22 mars 1908 relatif à l’organisation du service d’architecture des bâtiments civils et des palais nationaux, qui régissait le recrutement et l’activité des vérificateurs des monuments historiques à la date des faits litigieux, avait prévu que ces derniers étaient nommés par arrêtés ministériels à des emplois permanents, qu’ils occupaient normalement jusqu’à la limite d’âge, avec pour mission de concourir de façon permanente au service public de l’entretien, de la conservation et de la construction de bâtiments faisant l’objet d’une protection particulière ; que leur nomination à un tel emploi comportait nécessairement leur titularisation dans le grade unique du corps que ce décret instituait ; que, ce faisant, et nonobstant la forme particulière de la rémunération des vérificateurs, empruntée aux usages de la profession, ou la circonstance qu’ils avaient la faculté, en dehors de leurs fonctions publiques, d’avoir une clientèle privée, le décret du 22 mars 1908 avait conféré à ces derniers la qualité de fonctionnaire ; que toutefois, nonobstant cette qualité, l’intervention des vérificateurs était rémunérée sous forme d’honoraires forfaitaires en application des dispositions précitées de l’article 12 du décret du 5 mai 1987, applicables au litige en vertu des dispositions transitoires de l’article 13 du décret du 22 juin 2009 relatif à la maîtrise d’oeuvre sur les immeubles classés au titre des monuments historiques ; que l’acte par lequel le Centre des monuments nationaux, maître d’ouvrage des travaux réalisés sur les monuments nationaux conformément aux dispositions de l’article 2 du décret du 26 avril 1995 portant statut de la Caisse nationale des monuments historiques et des sites, alors applicable, confiait la maîtrise d’oeuvre des travaux sur ces monuments, et qui, nonobstant la définition réglementaire du forfait des honoraires et du contenu des missions des vérificateurs des monuments nationaux, caractérisait un engagement conclu à titre onéreux pour répondre à un besoin de l’établissement public, devait être regardé comme un contrat de maîtrise d’oeuvre à l’égard de l’architecte en chef des monuments historiques et du vérificateur co-traitant ; que la circonstance que chaque vérificateur des monuments historiques se voyait confier, par arrêté ministériel, des circonscriptions géographiques sur lesquelles il avait compétence, ne faisait pas obstacle à l’application du code des marchés publics qui prévoyait, au II de son article 35, dans sa rédaction alors en vigueur, l’hypothèse dans laquelle le pouvoir adjudicateur était tenu de choisir le titulaire d’un droit ou d’une compétence particulièrement spécifique ; que par conséquent, la cour administrative d’appel de Paris n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit en jugeant que les décisions mentionnées au point 1 en date des 8 août et 27 septembre 2011 du président du Centre des monuments nationaux constituaient la résiliation des marchés conclus avec MM. A…et C…par des actes d’engagement en date des 3 décembre 2009 et 4 février 2010 ».
Le contexte ne poussait pourtant pas forcément à une acception extensive de la notion de marché public, puisque n’était pas en cause une question sur la passation, mais la question de savoir si la décision de mettre fin aux relations entre le groupement et le centre national était un retrait d’une décision créatrice de droit ou une résiliation et si, en conséquence, il fallait se placer sur le terrain de la responsabilité contractuelle, ce qui est admis en l’espèce. Cette solution n’a plus qu’un intérêt historique pour les vérificateurs puisque leurs missions de maitrise d’œuvre ont été confiées aux seuls architectes en chef des monuments historiques (comme l’explique le rapporteur public dans ses conclusions disponibles sur Arianeweb) mais elle reste intéressante pour ces derniers. Cette qualification de marché ne valait pas, pour autant, obligation de mise en concurrence et le Conseil d’Etat a pris le soin d’évoquer l’article 35.II de l’ex-code des marchés publics relatif aux marchés passés sans publicité ni mise en concurrence pour justifier le fait que, quoique marché, il n’était pas soumis aux règles de passation des marchés. Il est vrai que, outre le monopole dont ils disposent, le caractère forfaitaire de la rémunération semblait empêcher toute mise en concurrence, même à envisager une mise en concurrence entre seuls vérificateurs.
L’enjeu de la qualification contractuelle n’est effectivement pas toujours en lien avec la mise en concurrence mais elle peut l’impliquer. Dans une autre affaire, une autorisation d’occupation domaniale a été requalifiée en concession. L’exploitation d’un aérodrome avait été attribuée puis prolongée sous la forme d’autorisations temporaires d’occupation du domaine public par arrêtés pris par le Haut-commissaire de la République de Polynésie. Le juge estime logiquement qu’ils ont, en réalité, pour effet d’attribuer à la société bénéficiaire une concession. Si l’enjeu n’était pas ici celui de la mise en concurrence mais de l’autorité compétente pour signer l’attribution initiale et sa prolongation, seul un arrêt interministériel ou un décret en Conseil d’Etat pouvant y procéder, cet arrêt illustre le risque réel de requalification en concession de certaines autorisations unilatérales (CE 28 décembre 2018, n° 412019, Commune Faa’a, conclusions sur Arianeweb).
2.1.2 – La qualification unilatérale
En sens inverse, le Conseil d’Etat a conclu à l’absence de marché public et de délégation de service public à propos de la création d’un groupement d’intérêt public qui reprenait les activités de laboratoires d’un conseil départemental.
JURISPRUDENCE
CE 10 novembre 2010, n°319109, SOCIETE CARSO-LABORATOIRE SANTE HYGIENE ENVIRONNEMENT : « Considérant, en troisième lieu, qu’en créant avec la société Institut Pasteur de Lille – Santé Environnement Durables Est un groupement d’intérêt public destiné à reprendre les activités auparavant exercées par son laboratoire départemental d’analyses, le département de l’Allier, qui a ainsi renoncé à mettre en oeuvre de telles activités dans le cadre de ses missions de service public exercées à titre facultatif, ne peut être regardé comme ayant confié la gestion d’un service public dont il a la responsabilité à un délégataire public ou privé ; que, par suite, le moyen de la SOCIETE CARSO-LABORATOIRE SANTE HYGIENE ENVIRONNEMENT tiré de ce que la conclusion de la convention constitutive de ce groupement devait être précédée de la procédure de publicité et de mise en concurrence prévue par les dispositions des articles L. 1411-1 et suivants du code général des collectivités territoriales doit être écarté ;
Considérant, en quatrième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que le groupement d’intérêt public I.P.L. Santé Environnement Durables Coeur de France n’a pas pour objet de répondre aux besoins du département de l’Allier en matière de prestations d’analyses dans les domaines de la santé publique vétérinaire et de l’hydrologie mais d’effectuer ces prestations, ainsi que des prestations complémentaires d’audit, de conseil, de recherche et de formation, au bénéfice de tiers sur l’ensemble du territoire national ; qu’ainsi, contrairement à ce que soutient la SOCIETE CARSO-LABORATOIRE SANTE HYGIENE ENVIRONNEMENT, la convention constitutive du groupement d’intérêt public I.P.L. Santé Environnement Durables Coeur de France et l’arrêté interministériel l’ayant approuvée n’ont nullement pour effet de permettre à ce groupement d’être attributaire d’un marché avec le département ; que, par suite, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la création du groupement d’intérêt public I.P.L. Santé Environnement Durables Coeur de France a été approuvée en méconnaissance des règles nationales et communautaires applicables aux marchés publics, lesquelles seront en revanche applicables aux marchés passés le cas échéant par le département de l’Allier avec ce groupement en vue de satisfaire à des besoins propres ; »
Si l’absence de marché public peut s’expliquer par le fait que le GIP ne répondait pas aux besoins du pouvoir adjudicateur, le Conseil d’Etat ne motive guère sa décision s’agissant de l’absence d’une délégation de service public et, par ailleurs, ne se prononce pas sur l’existence d’une concession de service, alors même que la qualification d’un contrat est toujours d’ordre public pour le juge administratif. On peut penser que pendant longtemps la délégation de service public occultait la concession de service alors qu’on admet aujourd’hui qu’il y a parfois lieu distinguer, en tout cas que c’est la qualification de concession qui importe. En l’espèce, l’absence de délégation de service public en l’espèce tenait probablement au fait que le département avait renoncé à en faire un service public.
Dans un autre contexte, relatif à une demande de remboursement de dépenses de ravalement de façade, une cour administrative d’appel a dénié l’existence d’un consentement d’une commune et a rejeté l’action en responsabilité contractuelle, mais a admis une responsabilité quasi-contractuelle dans les circonstances de l’espèce et a prononcé l’indemnisation des dépenses utiles à hauteur de85 % du montant du « marché » tacite que prétendait avoir passé l’entreprise (CAA Douai, 22 août 2019, n° 17DA01020).
Il est ainsi difficile de synthétiser la jurisprudence pour bien comprendre ce qui, dans un contexte de commande publique, pousse le juge administratif à identifier une relation contractuelle. Alors que les agréments existent dans de nombreux domaines, l’on peut se demander s’il ne faudrait pas y voir bien plus souvent une concession de service voire un marché public en l’absence de risque d’exploitation, dès lors qu’ils impliquent une certaine forme d’exclusivité et qu’ils entendent répondre aux besoins des acheteurs. Aussi convient-il de s’en remettre aux critères mis en avant par les juridictions européennes qui vont plus loin encore dans la requalification d’actes en marché ou concession.
2.2 – Les critères du contrat dans la jurisprudence européenne relative à la commande publique
Avant d’examiner la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, on relèvera que la directive 2014/24 envisage l’absence de relations contractuelles dans son considérant 34.
TEXTE OFFICIEL
Directive 2014/24 du 24 février 2014, considérant 34 : « Il existe des cas où une entité juridique agit, en vertu des dispositions pertinentes du droit national, en tant qu’instrument ou service technique pour le compte de pouvoirs adjudicateurs donnés et est contrainte d’exécuter les instructions que ceux-ci lui donnent, sans avoir d’influence sur la rémunération de sa prestation. Compte tenu de son caractère non contractuel, cette relation purement administrative ne devrait pas relever du champ d’application des procédures de passation de marchés publics ».
Si cette hypothèse est exacte, elle est sans doute un peu restrictive eu égard aux exemples jurisprudentiels connus de qualification contractuelle ou de non qualification contractuelle.
2.2.1 – La qualification contractuelle
Les exemples de qualification ou de requalification contractuelle sont aussi nombreux que divers.
Une autorisation de lotissement à l’intérieur duquel sera construit un ouvrage répondant à un besoin du pouvoir adjudicateur et alors même que seul le propriétaire du terrain peut le construire à cet endroit doit être regardée comme un marché public de travaux. La possibilité d’une réalisation directe de travaux prévue par la législation dans ce cadre ne saurait justifier une dérogation aux règles de publicité et de mise en concurrence.
JURISPRUDENCE
CJCE 12 juillet 2001, C-399/98, Ordre des architectes de la province de Milan et Lodi :
« Quant à l’élément tenant à l’existence d’un contrat
63. La Ville de Milan, Pirelli, MCS et la FTS estiment que cet élément fait défaut, car la réalisation directe des ouvrages d’équipement est prévue, sous forme de règle, par la législation italienne, nationale et régionale, en matière d’urbanisme, dont l’objet, la finalité, les caractéristiques et les intérêts qu’elle vise à sauvegarder sont différents de ceux de la réglementation communautaire en matière de marchés publics.
64. Elles soulignent en outre l’absence, pour l’autorité locale, de la faculté de choisir celui qui sera chargé d’exécuter les ouvrages, cette personne étant désignée par la loi en sa qualité de propriétaire des terrains faisant l’objet du lotissement.
65. Enfin, selon la défenderesse et les intervenantes au principal, même si l’on considérait que la réalisation directe a lieu en vertu des engagements souscrits dans la convention de lotissement, l’élément contractuel ferait encore défaut. En effet, la convention de lotissement étant une convention de droit public, participant de l’exercice de la puissance publique et non pas de l’autonomie privée, il ne saurait être question d’un «contrat» au sens de la directive. La municipalité conserverait les pouvoirs que lui confère la puissance publique en matière de gestion du territoire, «y compris celui de modifier ou de révoquer les plans d’urbanisme en fonction de l’évolution de la situation ou d’adopter de nouveaux critères d’appréciation correspondant mieux auxdits besoins» (arrêt de la Corte suprema di cassazione, chambres réunies, n° 6941, du 25 juillet 1994). Pour la même raison, il manquerait les éléments qui constituent la «causa» contractuelle et qui sont propres au contrat d’entreprise. 66. Il y a lieu de relever d’abord que la circonstance que la disposition de droit national prévoyant la réalisation directe des ouvrages d’équipement fait partie d’un ensemble de règles en matière d’urbanisme ayant des caractéristiques propres et poursuivant une finalité spécifique, distincte de celle de la directive, ne suffit pas pour exclure la réalisation directe du champ d’application de la directive lorsque les éléments requis pour qu’elle en relève se trouvent réunis.
67. À cet égard, ainsi que la juridiction de renvoi l’a indiqué, les ouvrages d’équipement mentionnés à l’article 4 de la loi n° 847/64 sont tout à fait susceptibles de constituer des travaux publics en raison, d’une part, de leurs qualités fonctionnelles propres à satisfaire les exigences d’équipement qui vont au-delà du simple habitat individuel et, d’autre part, du fait que l’administration compétente en a la maîtrise en tant qu’elle dispose d’un titre juridique qui lui en assure la disponibilité dans le but d’en garantir la jouissance à tous les usagers de la zone.
68. Ces éléments sont importants, parce qu’ils confirment l’affectation publique qui est, dès l’origine, assignée aux ouvrages à réaliser.
69. Ensuite, il résulte certes de l’ordonnance de renvoi que l’article 28, paragraphe 5, de la loi n° 1150/42 prévoit la possibilité de réaliser directement les ouvrages d’équipement secondaire dans le cadre d’un lotissement et que, selon l’article 12 de la loi régionale de Lombardie n° 60/77, tel que modifié par l’article 3 de la loi régionale de Lombardie n° 31/86, la réalisation directe constitue la règle. Toutefois, ces dispositions ne sont pas de nature à exclure l’existence de l’élément contractuel prévu à l’article 1er, sous a), de la directive.
70. En effet, d’une part, il résulte de la disposition susmentionnée de la législation régionale de Lombardie que l’administration communale conserve toujours la possibilité d’exiger, en lieu et place de la réalisation directe des ouvrages, le paiement d’une somme proportionnelle à leur coût effectif ainsi qu’à l’importance et aux caractéristiques des constructions. D’autre part, en cas de réalisation directe des ouvrages d’équipement, une convention de lotissement doit, de toute manière, être conclue entre l’administration communale et le(s) propriétaire(s) des terrains à lotir. 71. Il est certes vrai que l’administration communale n’a pas la faculté de choisir son contractant, parce que, conformément à la loi, cette personne est nécessairement celle qui a la propriété des terrains à lotir. Cependant, cette circonstance ne suffit pas à exclure le caractère contractuel du rapport noué entre l’administration communale et le lotisseur, dès lors que c’est la convention de lotissement conclue entre eux qui détermine les ouvrages d’équipement que le lotisseur doit à chaque fois réaliser ainsi que les conditions y afférentes, y compris l’approbation par la commune des projets de ces ouvrages. De surcroît, c’est en vertu des engagements souscrits par le lotisseur dans ladite convention que la commune disposera d’un titre juridique qui lui assurera la disponibilité des ouvrages ainsi déterminés, en vue de leur affectation publique.
72. Cette constatation est en outre corroborée, dans l’affaire au principal, par la circonstance que, selon les délibérations attaquées, le théâtre de la Bicocca doit être réalisé pour partie par exécution directe de la part des lotisseurs, «conformément à leurs obligations contractuelles relatives au plan de lotissement», et pour partie par procédure d’adjudication à la diligence de la Ville de Milan.
73. Enfin, contrairement à l’argumentation avancée par la défenderesse et les intervenantes au principal, la circonstance que la convention de lotissement relève du droit public et participe de l’exercice de la puissance publique ne s’oppose pas à l’existence de l’élément contractuel prévu à l’article 1er, sous a), de la directive, voire milite en sa faveur. En effet, dans plusieurs États membres, le contrat conclu entre un pouvoir adjudicateur et un entrepreneur est un contrat administratif, relevant en tant que tel du droit public.
74. Eu égard aux considérations qui précèdent, les éléments définis par la convention de lotissement et les accords passés dans le cadre de cette dernière sont suffisants pour que l’élément contractuel requis par l’article 1er, sous a), de la directive soit présent ».
Dans une autre affaire, l’existence d’un contrat est admise en présence d’une autorisation de lotissement. Une réglementation belge prévoit en effet une obligation de constructions sociales en cas de lotissement, sous l’appellation de « charge sociale ». Le lotisseur ou le maître d’ouvrage peut exécuter en tout ou en partie cette charge sociale au moyen du versement d’une cotisation sociale à la commune ou bien en réalisant ces logements. La réglementation prévoit en ce dernier cas une garantie de reprise des logements construits par la commune si aucune société de logement social n’est disposée à les reprendre.
La Cour en conclut à l’existence potentielle d’une relation contractuelle – et donc à un marché public ou à une concession selon qu’il existe un risque d’exploitation ou pas – dans la mesure où les logements sociaux serait la résultante d’une convention, même imposée par un texte réglementaire. En l’espèce, il n’est pas sûr que la convention visée par le texte réglementaire ait un tel objet.
JURISPRUDENCE
CJUE 8 mai 2013, C-197/11, Eric Libert et autres contre Gouvernement flamand : « À cet égard, il y a lieu de rappeler que, afin de conclure à l’existence d’une certaine relation contractuelle entre un sujet qui pourrait être qualifié de pouvoir adjudicateur et un maître d’ouvrage ou un lotisseur, la jurisprudence de la Cour exige, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 86 de ses conclusions, la conclusion d’une convention de lotissement entre l’administration et l’opérateur économique concerné visant à déterminer les ouvrages que ce dernier doit réaliser ainsi que les conditions y afférentes.
113 Lorsqu’une telle convention a été signée, la circonstance que la réalisation de logements sociaux est imposée directement par la réglementation interne et que le cocontractant de l’administration est nécessairement la personne qui a la propriété des terrains à bâtir ne suffit pas à exclure le caractère contractuel du rapport noué entre l’administration et le lotisseur concerné (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti e.a., C-399/98, Rec. p. I‑5409, points 69 et 71).
114 Or, s’il est vrai que le décret flamand requiert expressément, à son article 4.1.22, premier alinéa, la conclusion d’une convention d’administration entre le maître d’ouvrage ou le lotisseur et la société de logement social, il n’en demeure pas moins que cette convention, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, ne régit pas, en principe, les relations entre le pouvoir adjudicateur et l’opérateur économique concerné. En outre, une telle convention semble porter non pas sur la réalisation des logements sociaux, mais seulement sur la phase suivante, à savoir celle de leur mise sur le marché.
115 Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi d’apprécier, en tenant compte de l’ensemble de la législation applicable ainsi que de toutes les circonstances pertinentes de l’affaire au principal, si la réalisation de logements sociaux en cause au principal s’inscrit dans le cadre d’une relation contractuelle entre un pouvoir adjudicateur et un opérateur économique et s’il est satisfait aux autres critères énoncés au point 109 du présent arrêt.
(…)
119 Au regard des observations qui précèdent, il convient de répondre à la onzième question dans l’affaire C-203/11 que la réalisation de logements sociaux devant par la suite être vendus, à des prix plafonnés, à un organisme public de logement social ou moyennant la substitution de cet organisme au prestataire de services ayant réalisé ces logements relève de la notion de «marché public de travaux» définie à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18 lorsque les critères prévus à cette disposition sont réunis, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ».
S’agissant des conclusions de l’avocat général dans cette affaire, on peut admettre avec un auteur que sa conception ne correspond pas tout à fait à l’état de la jurisprudence.
DOCTRINE
Sophie Nicinski, II.100.1.4 in O. Guézou, Droit des marchés publics et contrats publics spéciaux, tome 1 : « L’Avocat général Mazak, dans ses conclusions sur les arrêts Eric Libert et All Projects & Developments NV e.a de 2013, s’est lancé dans la recherche de l’existence d’éléments caractérisant une véritable relation contractuelle. Assez curieusement, c’est le critère de la liberté contractuelle des parties qui semble prédominer, la capacité de l’opérateur de négocier les termes du contrat ou sa faculté de se soustraire à l’obligation objet du contrat. Encore plus curieusement, l’Avocat général se réfère aussi à l’effet utile du droit des marchés publics, pour affirmer qu’un contrat dans lequel l’opérateur ne tire aucun avantage économique ne peut relever du régime contraignant des directives. A notre sens, on s’éloigne ici quelque peu des critères du contrat en droit ».
Le fait de se soustraire à l’obligation objet du contrat ou de ne pas tirer un avantage économique n’est pas en effet un critère de la relation contractuelle.
En revanche, on ne suivra pas cette auteure lorsqu’elle fait référence à la possibilité de négocier comme n’étant pas un critère du caractère contractuel : même s’Il résulte de l’ensemble de ses jurisprudences que la Cour de justice juge au cas par cas de l’existence d’une relation contractuelle et qu’il est difficile de trouver un critère unique, celui de l’existence d’une possibilité de négociation, surtout dans un régime très contraint, semble le plus adéquat (cf. ci-dessous l’affaire Correos).
Par ailleurs, cet auteur évoque aussi l’existence d’un contrat dans le contexte dit du « in house » ou de la quasi-régie c’est-à-dire à la jurisprudence Teckal (CJCE 18 novembre 1999, C-107/98, Teckal). Certes, cette jurisprudence est à l’origine de cette exception à la mise en concurrence et s’est effectivement appuyée sur l’idée d’une absence de véritable contrat. Mais il s’agissait alors de rattacher cette exception prétorienne à un argument textuel par une sorte de fiction juridique : faute de contrat, il ne saurait y avoir marché compte tenu de la définition du marché public. Et pourtant, en l’espèce, il y a bien contrat entre deux personnes disposant d’une certaine autonomie de la volonté. De fait, les textes tant de droit européen que de droit interne, en « codifiant » cette jurisprudence, ne contestent pas que l’on soit en présence d’un contrat et c’est au titre des exclusions du champ d’application que cette exception se retrouve, c’est-à-dire au titre d’actes qui sont bien qualifiables de marchés ou de concessions mais qui sont exclus de la mise en concurrence compte tenu de l’inadéquation de celle-ci dans certaines situations. Il est donc inutile de se référer à la jurisprudence du « in house » pour essayer d’identifier une relation véritablement contractuelle.
2.2.2 – La qualification unilatérale
En premier lieu, la Cour de justice a précisé que l’absence de relation contractuelle peut résulter de la circonstance qu’une société « ne dispose d’aucune liberté, ni quant à la suite à donner à une commande faite par les autorités compétentes en cause ni quant au tarif applicable à ses prestations » (CJCE 19 avril 2007, C‑295/05, Asemfo).
Encore cet arrêt a-t-il été contextualisé par l’arrêt dit Correos du 18 décembre 2007 qui a ainsi réduit la portée de la jurisprudence Asemfo sur ce point.
JURISPRUDENCE
CJUE, 18 décembre 2007, C-220/06, Asociacion Profesional de Empresas de Reparto y Manipulado de Correspondencia contre Administracion General del Estado (Correos) : « 51 Il est vrai que, au point 54 de son arrêt du 19 avril 2007, Asemfo (C‑295/05, Rec. p. I‑2999), la Cour a jugé que la condition d’applicabilité des directives en matière de passation des marchés publics relative à l’existence d’un contrat n’est pas remplie lorsque la société d’État en cause dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt ne dispose d’aucune liberté, ni quant à la suite à donner à une commande faite par les autorités compétentes en cause ni quant au tarif applicable à ses prestations, ce qu’il incombait à la juridiction de renvoi de vérifier.
52 Toutefois, un tel raisonnement doit être lu dans son contexte spécifique. En effet, il fait suite à la constatation selon laquelle, en vertu de la législation espagnole, ladite société d’État est un moyen instrumental propre et un service technique de l’administration générale de l’État et de celles de chacune des communautés autonomes concernées, la Cour ayant déjà considéré, dans un contexte différent de celui de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Asemfo, précité, que, en tant que moyen instrumental et service technique de l’administration espagnole, la société en cause est tenue d’effectuer, à titre exclusif, les travaux que lui confient l’administration générale de l’État, les communautés autonomes et les organismes publics dépendant de celles-ci (arrêt Asemfo, précité, points 49 et 53) ».
Ce qui était en cause dans l’arrêt Correos était le recours au service postal universel dans un contexte particulièrement encadré : lorsque la demande émane de l’Etat (espagnol en l’occurrence), Correos n’a pas la possibilité de refuser d’accomplir la prestation et elle le fait à un tarif réglementé. Pour autant, la Cour juge que cela ne vaut pas automatiquement absence de lien contractuel. Encore faut-il établir si le prestataire dispose d’une certaine marge de négociation afin de vérifier si le prestataire du service universel est dans une position d’offre commerciale normale.
JURISPRUDENCE
CJUE, 18 décembre 2007, C-220/06 , Asociacion Profesional de Empresas de Reparto y Manipulado de Correspondencia contre Administracion General del Estado (Correos): « 53 Or, Correos, en tant que prestataire du service postal universel, a une tâche tout à fait différente, qui implique notamment que sa clientèle est composée de toute personne souhaitant faire appel au service postal universel. Le seul fait que cette société ne dispose d’aucune liberté, ni quant à la suite à donner à une commande faite par le Ministerio ni quant au tarif applicable à ses prestations, ne saurait avoir automatiquement pour conséquence qu’aucun contrat n’a été conclu entre ces deux entités.
54 En effet, une telle situation n’est pas nécessairement différente de celle qui existe lorsqu’un client privé souhaite faire appel aux services de Correos relevant du service postal universel, étant donné qu’il découle de la tâche même d’un prestataire de ce service que, dans un tel cas, il est également contraint d’effectuer le service demandé, et cela, le cas échéant, à des tarifs fixes ou, en tout état de cause, à des tarifs transparents et non discriminatoires. Or, il ne fait pas de doute qu’une telle relation doit être qualifiée de contractuelle. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’accord conclu entre Correos et le Ministerio serait en réalité un acte administratif unilatéral édictant des obligations à la seule charge de Correos, acte qui se départirait sensiblement des conditions normales de l’offre commerciale de cette société, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, qu’il conviendrait de conclure qu’un contrat fait défaut et que, par conséquent, la directive 92/50 ne saurait s’appliquer.
55 Dans le cadre de cette vérification, la juridiction de renvoi aura notamment à examiner si Correos dispose de la capacité de négocier avec le Ministerio le contenu concret des prestations à fournir ainsi que les tarifs applicables à ces dernières et si cette société a, en ce qui concerne les services non réservés, la faculté de se libérer des obligations découlant de l’accord de collaboration, moyennant le respect du préavis prévu par celui-ci ».
On imagine que la marge de négociation pourra porter sur les conditions d’exécution du service (délais d’exécution notamment) voire le contenu même de la prestation. La solution se justifie en effet par le fait que la mise en concurrence n’est pas inutile si, en dépit de tarifs fixés réglementairement pour un des candidats, elle peut jouer néanmoins sur d’autres aspects que le prix.
C’est par application de cette jurisprudence Correos qu’une réponse ministérielle dénie toute relation contractuelle et donc tout marché public lorsque le juge administratif désigne un expert.
DOCTRINE OFFICIELLE
Rép. min. n° 41108 : JOAN Q 22 décembre 2015, p. 10525 : « Les contrats conclus à titre onéreux pour répondre aux besoins des pouvoirs adjudicateurs sont des marchés publics au sens de l’article 1er du code des marchés publics. La dévolution d’une mission par un acte unilatéral ne répond en principe pas à la définition du marché public (CJCE, 18 décembre 2007, Asociacion Profesional de Empresas de Reparto y Manipulado de Correspondencia c/ Adminitracion General del Estado, C-220/06, points 54 et 55). Doivent ainsi être considérés unilatéraux les actes confiant une prestation à un opérateur économique qui ne peut ni négocier le contenu et les tarifs de sa prestation, ni se libérer de ses engagements. L’ordonnance par laquelle le juge des référés prescrit une mesure d’expertise sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative (CJA) constitue un acte juridictionnel et non un contrat. Le juge apprécie souverainement l’utilité de la mesure d’expertise et fixe le contenu de la mission de l’expert. Les honoraires de celui-ci sont, quant à eux, taxés par ordonnance du juge. L’ordonnance de taxe, qui revêt la nature d’un acte administratif (CE, sect. 17 juin 1983, Lassallette, no 24265), peut notamment fixer ces honoraires à un montant inférieur à celui demandé par l’expert (article R. 621-11 du CJA). Ainsi, la prescription de mesures d’expertise et la liquidation des frais et honoraires de l’expert ne résultent pas d’un accord de volonté entre le juge administratif et la personne désignée pour réaliser l’acte exigé, mais d’actes unilatéraux pris par l’autorité juridictionnelle. Ces actes relèvent du champ d’application du droit de la commande publique. Pour réaliser certains travaux destructifs ou certaines prestations de service à caractère probatoire, l’expert désigné peut avoir besoin de recourir à un tiers n’ayant pas la qualité de sapiteur. Il peut, à cet effet, directement conclure un contrat avec ce tiers. Seul un contrat conclu par un pouvoir adjudicateur ou par son mandataire pourrait revêtir la nature d’un marché public. Or les personnes privées ne peuvent être regardées comme des pouvoirs adjudicateurs au sens de la directive no 2004/18/CE du 31 mars 2004 et de l’ordonnance no 2005-649 du 6 juin 2005 que dans la mesure où un pouvoir adjudicateur exerce sur elles une influence financière, institutionnelle ou structurelle déterminante. Tel n’est pas le cas de l’expert judiciaire, dont les rapports avec la juridiction sont organisés par le livre VI du code de justice administrative. En outre, la seule circonstance que l’expert participe à la mission du service public judiciaire ne lui confère pas la qualité de mandataire d’un pouvoir adjudicateur, dès lors que la juridiction n’exerce aucun contrôle sur l’activité de l’expert (voir, pour un raisonnement similaire, CE Ass., avis, 16 mai 2002, req. no 366305). Dès lors que l’expert ne peut être regardé ni comme un pouvoir adjudicateur ni comme le mandataire d’un tel organisme, les contrats qu’il passe pour les besoins de sa mission ne sont pas soumis au droit de la commande publique. Enfin, lorsqu’en pratique l’expert demande à l’une des parties de confier des missions d’investigation à une entreprise qu’il désigne, le contrat conclu par la partie concernée ne répond pas aux besoins de celle-ci mais aux besoins du service public de la justice. Or seul un contrat répondant aux besoins propres d’un pouvoir adjudicateur peut être qualifié de marché public (article 1er du code des marchés publics). Par suite, et alors même que la partie qui supporte provisoirement la charge financière de ces mesures d’expertise aurait la qualité de pouvoir adjudicateur, le contrat ne peut être qualifié de marché public ».
Dans une autre affaire, relatives aux services d’urgence accomplis par le service des sapeurs-pompiers de Dublin, la Cour de justice a estimé qu’il n’y avait pas de contrat car le prestataire exerçait ainsi ses propres compétences tirées de la loi, alors même que la contribution versée par l’administration couvrait une partie des frais exposés. Peut-être le caractère partiel de la couverture des frais exposés a-t-il justement contribuer à conclure à l’inexistence d’un contrat, encore que l’on aurait alors pu y voir une concession. Au demeurant, s’agissant d’un recours en manquement, la solution peut aussi s’expliquer par le fait que la Commission n’a pas apporté la preuve de l’existence d’un contrat.
JURISPRUDENCE
CJCE 18 décembre 2007, C-532/03 , Commission c/ Irlande : « 29 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, sans préjudice de l’obligation des États membres, en vertu de l’article 10 CE, de faciliter l’accomplissement de la mission de la Commission, consistant notamment, selon l’article 211 CE, à veiller à l’application des dispositions du traité ainsi que des dispositions prises par les institutions en vertu de celui-ci (arrêt du 26 avril 2005, Commission/Irlande, C‑494/01, Rec. p. I‑3331, point 42), dans le cadre d’un recours en manquement, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué. C’est elle qui doit apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque (voir, notamment, arrêts du 25 mai 1982, Commission/Pays-Bas, 96/81, Rec. p. 1791, point 6; du 26 juin 2003, Commission/Espagne, C‑404/00, Rec. p. I‑6695, point 26, et du 26 avril 2007, Commission/Italie, C‑135/05, Rec. p. I‑3475, point 26).
30 La Commission fait valoir que le maintien d’un accord entre le DCC et l’Autorité, en l’absence de toute publicité préalable, constitue une violation des règles du traité et, partant, des principes généraux du droit communautaire, notamment du principe de transparence.
31 Au soutien de sa thèse, la Commission considère que, même en l’absence d’un contrat écrit détaillant les modalités selon lesquelles les services doivent être fournis par le DCC, la correspondance jointe à la lettre du 19 septembre 2002 indique que l’ampleur de ces services et les principes de leur rémunération ont été examinés par les parties et formalisés dans un projet d’accord conclu au cours du mois de juin de l’année 1998. Plus particulièrement, dans une lettre du 15 janvier 1999, annexée à la lettre du 19 septembre 2002, le responsable financier du DCC aurait constaté que les négociations sur le financement du service de transport d’urgence en ambulance avaient abouti, en juin 1998, à un accord déterminant les charges futures imputées par le DCC à l’Autorité.
32 La Commission soutient qu’il semble que le DCC et l’Autorité sont convenus de conclure un accord portant sur le niveau des services à accomplir et qu’un contrat en ce sens a été rédigé. Dès lors, selon la Commission, le DCC fournit des services de transport d’urgence en ambulance à l’initiative de l’Autorité et contre rémunération.
33 À cet égard, il y a lieu de relever qu’il ressort du dossier que la législation nationale habilite tant l’Autorité que le DCC à effectuer des services de transport d’urgence en ambulance. Aux termes de l’article 25 de la Fire Services Act 1981, une autorité de protection contre les incendies peut effectuer ou participer à une opération d’urgence, qu’il y ait ou non risque d’incendie, et peut en conséquence prendre les mesures qu’elle juge utiles à l’exercice de cette fonction pour le sauvetage ou la sauvegarde des personnes et la protection de la propriété. Ainsi, conformément à l’article 9 de cette même loi, une autorité locale telle que le DCC est l’autorité responsable du service de protection contre les incendies.
34 Depuis 1899 et jusqu’à l’année 1960, le DCC a assuré des services de transport d’urgence en ambulance en qualité d’autorité sanitaire. Par la suite, il a agi en tant qu’autorité locale et, en vertu de l’article 25 de la Fire Services Act 1981, il a fourni lesdits services au moyen de son service permanent de protection contre l’incendie.
35 Par conséquent, il ne saurait être exclu que le DCC fournit de tels services au public en exerçant ses propres compétences, directement tirées de la loi, et en utilisant ses fonds propres, bien qu’il perçoive à cette fin une contribution versée par l’Autorité et couvrant une partie des frais correspondant au coût de ces services.
36 À cet égard, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 29 du présent arrêt, il incombe, en l’espèce, à la Commission d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence d’une passation de marchés publics, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque.
37 Or, ni les arguments de la Commission ni les pièces produites ne démontrent qu’il aurait existé une passation d’un marché public, étant donné qu’il ne saurait être exclu que le DCC fournit des services de transport d’urgence en ambulance en exerçant ses propres compétences, directement tirées de la loi. Au demeurant, la simple existence, entre deux entités publiques, d’un mécanisme de financement concernant de tels services n’implique pas que les prestations de services concernées constituent une passation de marchés publics qu’il y aurait lieu d’apprécier au regard des règles fondamentales du traité.
38 La Commission n’ayant pas établi que l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité, le présent recours doit être rejeté ».
L’absence de lien contractuel réside donc dans l’obligation de contracter sans possibilité de négociation (Correos) ou lorsque les services résultent de la loi et que le versement d’une somme d’argent ne couvre pas les frais réellement engagés (Commission contre Irlande).
3 – L’élément financier : un contrat conclu en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent
Jusqu’au code de la commande publique, y compris dans le projet de code, le marché était un contrat conclu « à titre onéreux ». La simplicité de la formulation cachait des enjeux et des débats nourris et a connu une importante évolution comme il sera vu. En outre, la généralité de la référence au caractère onéreux ne permettait pas de distinguer le marché de la concession puisque la concession est aussi un contrat conclu à titre onéreux et que la distinction entre les deux porte précisément sur l’élément financier. C’est sans doute la raison pour laquelle la version définitive du code parle de « prix ou de tout autre équivalent ». Il ne faut pas toutefois y voir un changement d’optique dans la mesure où les directives européennes marchés parlent toujours de contrat conclu à titre onéreux (voir, par exemple, l’article 2.1.5 de la directive 2014/24) et où la définition des contrats de la commande publique fait référence au caractère onéreux (« Sont des contrats de la commande publique les contrats conclus à titre onéreux par un acheteur ou une autorité concédante, pour répondre à ses besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, avec un ou plusieurs opérateurs économique », article L. 2 du CCP). Les considérations qui suivent, basée sur la jurisprudence ayant appliqué la notion de contrat conclu à titre onéreux pour les marchés, restent donc pertinentes.
Initialement, la réglementation – implicitement – et la jurisprudence – explicitement -caractérisaient le marché par le versement d’un prix (CE 11 décembre 1963, Ville de Colombes, Lebon p. 812), cependant que la rémunération du cocontractant par les usagers excluait tout marché public (CE 10 avril 1970, Beau et Lagarde, Lebon p. 243 ; CE 6 mai 1991, n°65846, Syndicat intercommunal du Bocage, AJDA 1991, 717, note Subra).
TEXTE OFFICIEL
Code des marchés publics, version de 1964 : « Les marchés publics sont des contrats passés, dans les conditions prévues au présent code, par les collectivités publiques en vue de la réalisation de travaux, fournitures et services. ». Or les « conditions prévues au présent code » faisaient à plusieurs reprises référence au prix.
Tout juste pouvait-on trouver un arrêt dans lequel une concession d’endigage avait été qualifiée de marché de travaux publics mais cette qualification était en réalité inutile à la résolution du litige, qui portait sur le point de savoir si la demande indemnitaire avait pu se faire en l’absence de décision de rejet et donc simplement sur le fait de savoir si on était en présence de travaux publics. La qualification de concession de travaux publics aurait très bien pu faire l’affaire et la référence au « marché » était sans doute faite par inadvertance.
JURISPRUDENCE
CE 18 mars 1988, n°69723, Société civile des NEO-POLDERS : « Considérant que si certains des travaux d’intérêt général que la société devait effectuer dans le cadre du contrat d’endigage sur des terrains destinés à lui revenir après qu’il auraient été soustraits dans leur totalité à l’action des eaux ne pouvaient être regardés comme exécutés pour le compte d’une personne publique, les travaux d’édification des digues, lesquelles devaient après leur édification appartenir au domaine public, étaient exécutés pour le compte de l’Etat ; que le contrat unique afférent à ces deux séries d’opérations a dans son ensemble le caractère d’un marché de travaux publics ; que, dès lors, la requête présentée par cette société devant le tribunal administratif en vu d’être indemnisée du préjudice subi du fait de la décision du ministre de l’environnement et du cadre de vie lui refusant implicitement de poursuivre les travaux d’endigage prévus par la concession, était recevable alors même qu’elle n’était pas dirigée contre une décision ; qu’ainsi la société requérante est fondée à demander l’annulation du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande comme irrecevable ».
Dans le même ordre d’idée, le Conseil d’Etat avait évoqué un marché de travaux publics à propos d’un contrat dans lequel la rémunération se faisait en nature (extraction de gravier) mais ici encore, cette qualification était sans incidence, s’agissant d’une demande d’annulation d’une résiliation jugée irrecevable (CE 22 février 1980, n°11939, SA Les Sablières Modernes d’Aressy, Rec. t. 110) : la qualification de concession de service aurait pu aboutir au même résultat, en l’absence d’investissements importants du cocontractant.
La conception initiale du marché public, basée donc sur le critère du prix, s’accordait mal avec la conception extensive du marché public qu’a retenu de longue date la Cour de justice au nom de l’effet utile des directives marchés publics, à une époque où aucune règle de passation n’était prévue pour les concessions au niveau européen.
Symbole du décalage entre la conception interne et la conception européenne, le Conseil d’Etat avait pu juger être en présence d’un marché public au sens européen mais pas au sens interne, dans une hypothèse où le contrat passé entre deux personnes publiques prévoyait seulement le remboursement des frais engagés.
JURISPRUDENCE
CE 20 mai 1998, n°188239, Communautés de commune de Piémont-de-Barr : « Considérant que, par une première délibération du 14 janvier 1997, le conseil de la communauté de communes du Piémont de Barr a décidé, d’une part, de ne pas renouveler le contrat d’affermage qui, pour son service d’assainissement, la liait à la compagnie lyonnaise des eaux jusqu’au 1er octobre 1997 et, d’autre part, d’assurer à compter de cette date une « gestion en régie » de ce service ; que, par une autre délibération du même jour, qui se référait à la précédente, il a manifesté son intention de conclure une convention avec le service des eaux et de l’assainissement du Bas-Rhin, syndicat mixte dont la communauté de communes est membre pour que ce syndicat assure à compter du 1er octobre 1997 l’exploitation de ce service ; Considérant que la convention ainsi envisagée avec ce syndicat par la communauté de communes a, eu égard notamment à son objet, portant sur la fourniture de services, et au mode de rémunération » à livre ouvert » du cocontractant, le caractère d’un marché public au sens des dispositions précitées de l’article L. 22 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ; »
Considérant, il est vrai, qu’à l’appui de leur argumentation tendant à établir l’incompétence du juge de l’article L.22, les requérants invoquent les dispositions de l’article L. 5111-1 du code général des collectivités territoriales aux termes desquelles : « Les collectivités territoriales peuvent s’associer pour l’exercice de leurs compétences en créant des organismes publics de coopération dans les formes et conditions prévues par la législation en vigueur. Les collectivités territoriales peuvent conclure entre elles les conventions par lesquelles l’une d’elles s’engage à mettre à la disposition d’une autre collectivité ses services et moyens afin de lui faciliter l’exercice de ses compétences » ; que, toutefois, ces dispositions, relatives à la création d’organismes publics de coopération entre collectivités territoriales, ne sont pas applicables au contrat litigieux prévu pour la gestion d’un service d’assainissement entre deux établissements publics de coopération intercommunale ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le juge statuant en application de l’article L.22 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel n’aurait pas été compétent, doit être écarté ;
Sur le moyen relatif à la directive n° 92-50 du 18 juin 1992 :
Considérant que si le code des marchés publics ne s’applique pas à un contrat, tel que celui envisagé en l’espèce, entre deux établissements publics de coopération intercommunale dont l’un est adhérent de l’autre et qui contractent pour gérer, par leurs moyens communs, un service entrant dans le champ de leurs compétences et si, par suite, les règles de mise en concurrence prévues par ce code n’étaient pas applicables, un tel contrat doit être regardé comme un marché public de services au sens de la directive n° 92/50/CEE du Conseil du 18 juin 1992 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services ; qu’en vertu de l’article 1er de ladite directive, les marchés de services passés entre un pouvoir adjudicateur et un prestataire de services doivent faire l’objet d’une procédure de publicité et de mise en concurrence ».
Cette dichotomie, conduisant à appliquer les règles de mise en concurrence uniquement au-delà des seuils européens, ne pouvait perdurer et une évolution tant textuelle que jurisprudentielle a suivi.
L’évolution des textes a consisté, à compter du code des marchés publics 2001 et pour tous les textes suivants, à faire référence au caractère « onéreux » du marché. La jurisprudence a admis à leur suite, à compter de l’arrêt Decaux de 2005 (cf. infra), qu’un contrat sans versement d’une somme d’argent pouvait néanmoins être qualifié de marché public.
Le caractère onéreux n’est pas défini par les textes ou la jurisprudence interne. Un commissaire du gouvernement s’est inspiré du code civil pour expliquer que tout ce qui n’est pas gratuit est onéreux.
DOCTRINE
Didier Casas, CE ass. 4 novembre 2005, Société Jean-Claude Decaux, concl. D. Casas, RFDA 2005, p. 1088 : « La doctrine civiliste (B. Petit, fascicule « Contrats et obligations » au JCl. civil) tire de cette disposition l’opposition entre les contrats à titre onéreux et les contrats à titre gratuit, ce qui est le bon sens. Or, selon cette même doctrine, la notion de contrat à titre onéreux a un champ d’application très large puisqu’il inclut « tous les contrats dont chacune des parties entend retirer un avantage équivalent à celui qu’elle consent ». Du reste, la conception que la Cour de cassation a du contrat à titre onéreux est à ce point large que les contrats, au-delà de leurs apparences, bénéficient d’une sorte de présomption de caractère onéreux (cf. Cass. 3e civ. 31 mai 1989, Bull. civ. III, n° 126). À l’inverse, le contrat à titre gratuit correspond à des hypothèses très restrictives : soit celle des libéralités dont l’exemple-type en droit civil est la donation, soit celle qui nous intéresse particulièrement par référence au cas d’espèce des contrats de service gratuits, autrement dénommés « contrats désintéressés » ou « contrats de bienfaisance », qui ne sont à l’origine d’aucun transfert de valeur économique, d’aucun enrichissement de patrimoine. Ainsi, en droit civil, l’onérosité d’un contrat ne découle pas de l’existence d’un prix en bonne et due forme, qui aurait été affiché à l’avance et qui serait versé par l’une des parties directement à l’autre. Le critère du contrat onéreux est beaucoup plus large. Pour déduire le caractère onéreux d’un contrat, il suffit de constater l’existence d’un échange de valeur entre les parties au contrat, d’un enrichissement du patrimoine d’une des parties au détriment de celui de l’autre ».
Pour la CJUE, l’onérosité tient à l’existence d’une contre-prestation.
JURISPRUDENCE
CJCE 25 mars 2010, C-451/08, Helmut Muller (F. Llorens et Ph. Soler-Couteaux, « De l’onérosité et de l’intérêt économique direct comme critères des marchés publics », Contrats et marchés publics, n° 1, Janvier 2011, repère 1) : « le caractère onéreux du contrat implique que le pouvoir adjudicateur ayant conclu un marché public de travaux reçoive en vertu de celui-ci une prestation moyennent une contrepartie (…). Une telle prestation (…) doit comporter un intérêt économique direct pour le pouvoir adjudicateur ».
Les illustrations de la diversité du caractère onéreux sont nombreuses. Les exemples qui suivent sont tout à fait applicables au critère nouveau du « prix ou tout autre équivalent ». On mettra ici de côté le fait que le critère financier permet aussi de distinguer marché et concession : ce point est examiné en effet dans notre dossier relatif à la notion de concession.
Pour le reste, il est bienvenu de distinguer selon que l’acheteur verse une somme d’argent ou non. On peut en effet présenter la jurisprudence en disant qu’il y a présomption de marché dans le premier cas et une présomption contraire dans l’autre cas, mais cette présomption est simple et, dans les deux cas, peut être renversée dans certaines circonstances.
3.1 – Présomption de marché en cas de versement d’une somme d’argent
Si, en présence d’une relation contractuelle existant entre acheteur et un opérateur économique, le premier verse une somme d’argent au second, il y a de fortes chances que l’on soit en présence d’un marché. Il n’en ira autrement que s’il n’y a pas équivalence des prestations, qui permet de distinguer le marché public de l’aide d’Etat et le marché public de la subvention.
Il est à noter que peu importe que la rémunération ne permette pas de dégager une marge bénéficiaire : le simple remboursement des frais engagés n’exclut la qualification de marché que s’il s’accompagne de bien d’autres éléments qui permettent de conclure à l’existence d’une coopération public-public (CJCE 9 juin 2009, C-480/06, Commission c/Allemagne). Du reste, il a déjà été jugé qu’une offre de prix ne permettant pas à une entreprise de faire un bénéfice ne constitue pas nécessairement une offre anormalement basse (CE, 22 janv. 2018, n° 414860, Société comptoir de négoce d’équipements).
3.1.1 – La distinction du marché et de la subvention
De même qu’il existe une définition légale du marché public, il existe une définition légale de la subvention.
TEXTE
Article 9-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : « Constituent des subventions, au sens de la présente loi, les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l’acte d’attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d’un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d’une action ou d’un projet d’investissement, à la contribution au développement d’activités ou au financement global de l’activité de l’organisme de droit privé bénéficiaire. Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en œuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires. Ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les accordent ».
On le voit, la loi est assez précise pour décrire ce qui constitue une subvention ou pas : elle insiste sur l’importance de l’initiative et de la définition des actions subventionnées par l’organisme de droit privé, et écarte toutes actions qui répondraient aux besoins des autorités qui les accordent. Ce faisant elle est assez fidèle à la jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière, résumée par la fiche du MINEFI sur les marchés publics et autres contrats qui met en avant trois éléments.
DOCTRINE OFFICIELLE
Fiche de la DAJ sur les « Contrats de la commande publique et autres contrats », p. 25 : « Le juge utilise la méthode du faisceau d’indices pour distinguer les subventions des marchés publics. Trois indices sont principalement utilisés : l’initiative du projet, la définition des besoins et l’absence de contrepartie directe, les deux premiers se chevauchant partiellement.
3.1.1. L’initiative du projet Dans le cadre d’un marché public, le prestataire agit à la demande d’une personne publique pour répondre aux besoins qu’elle a elle-même définis. La subvention, en revanche, est destinée à soutenir financièrement une action initiée, définie et mise en œuvre par un tiers, éventuellement dans le cadre d’un dispositif incitatif mis en place par une autorité administrative.
Alors même que le besoin est défini par un tiers, dès lors que l’acheteur le reprend à son compte, il peut être regardé comme étant à l’initiative du projet qu’il définit. À l’inverse, la personne publique peut être à l’initiative d’une démarche de subventionnement (appel à projet, appel à manifestation d’intérêt). Mais dès lors qu’il ne spécifie pas les moyens à mettre en œuvre, qu’il laisse une liberté d’action, qu’il se contente d’énoncer les règles générales d’octroi de la subvention, il ne s’agira pas d’un marché public. Il convient de distinguer initiative du « projet » et initiative du « subventionnement ». Une personne publique peut ainsi prendre l’initiative de subventionner massivement une activité économique, de le faire savoir par un appel à projets, de définir précisément les critères d’octroi de la subvention, sans être à l’initiative des projets et sans craindre ainsi une requalification en marché public. Il en est ainsi, notamment lorsque la personne publique n’est pas à l’origine du projet proprement dit, objet du subventionnement, qu’elle n’en est pas responsable, qu’elle n’en définit pas les contours précis (même si les critères de subvention influencent profondément la façon dont la prestation sera délivrée), que le projet a été initié, défini en dehors d’elle ou qu’il préexistait à son intervention ou qu’il serait poursuivi sans son intervention (y compris si son intervention vient modifier profondément la façon dont le projet peut être géré ou dimensionné). Le deuxième indice, celui de la définition des besoins, apporte une précision déterminante à cet égard.
3.1.2. La définition des besoins Les marchés publics sont définis par la réalisation à titre onéreux de prestations répondant aux besoins de l’acheteur en matière de travaux, de fournitures ou de services. Un marché public implique non seulement l’impulsion du projet mais aussi sa conception et sa définition.
Il convient de distinguer la définition des besoins des critères d’octroi d’une subvention. La définition des besoins est réalisée au moyen de spécifications portant, par exemple, sur les caractéristiques précises d’une organisation à mettre en place qui exprimera les choix que la personne publique fait en la matière et qui devront être satisfaits par le titulaire du marché public. Le respect de ces choix par les soumissionnaires est déterminant, car c’est la personne publique qui assume la responsabilité du service. Les critères d’octroi d’une subvention vont porter sur des exigences de qualité, par exemple, tout en laissant aux tiers subventionnés le soin de déterminer la façon dont le service sera organisé, car la personne publique n’assume pas la responsabilité du service. Elle doit simplement s’assurer que l’usage des fonds qu’elle octroie n’est pas contraire aux objectifs généraux qu’elle a définis.
3.1.3. L’absence de contrepartie directe L’acheteur, qui accorde une subvention, n’attend aucune contrepartie directe de la part du bénéficiaire. Le juge considère qu’il y a marché public lorsque les sommes versées correspondent à des prestations de services individualisées, commandées par la personne publique dans le cadre de ses compétences et satisfaisant à ses besoins. L’absence de contrepartie de la subvention n’implique, toutefois, pas l’absence de conditions à l’utilisation des fonds pour son bénéficiaire. Dans la mesure où une subvention est subordonnée à un motif d’intérêt général, la personne publique peut subordonner son octroi à une utilisation déterminée des fonds ».
JURISPRUDENCE
CE 26 mars 2008, n°284412, Région de la Réunion : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la REGION DE LA REUNION a décidé, dans le cadre de ses compétences et après avoir défini ses propres besoins, de faire réaliser des prestations de formation afin de contribuer à la mise en oeuvre du plan régional de formation professionnelle des jeunes qu’elle avait arrêté en application des dispositions des articles 82 et 83, alors en vigueur, de la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat ; que les conventions signées en 1997, 1998 et 1999 entre la REGION DE LA REUNION et la société Formateurs de Bourbon avaient pour objet de confier à cette dernière une partie de ces prestations de formation, et que les aides financières qu’elles prévoyaient prenaient en compte l’intégralité des frais exposés par la société pour organiser ces formations ainsi que la rémunération des stagiaires »
La jurisprudence exige donc que l’initiative soit publique, que la définition des besoins soit publique et qu’il y ait équivalence des prestations pour que l’on soit en présence d’un marché public. La question demeure de savoir si c’est un faisceau d’indices qu’elle utilise, comme l’affirme la fiche technique, ou s’il s’agit de conditions cumulatives. Cette dernière interprétation pourrait conduire à faire échapper un peu trop facilement à la catégorie des marchés publics certains contrats. On peut penser que l’initiative peut ne pas être publique mais qu’il y aura quand même marché si cela recouvre des besoins et si le montant des subventions permet de couvrir les frais engagés.
S’agissant du critère de l’initiative, la distinction opérée par la fiche technique entre initiative privée reprise par la personne publique et inversement initiative privée mais qui laisse des initiatives à la personne privée provient de la circulaire du 18 janvier 2010 relative aux relations entre les pouvoirs publics et les associations.
Mais on peut se demander si cela est parfaitement conforme à l’esprit de la jurisprudence. La tendance est probablement à étendre la notion de marché public au détriment de celle de simple subvention. A titre d’exemple, le Conseil d’Etat a conclu à l’existence d’un marché alors même que la personne publique n’avait que très peu précisé le contenu de la prestation.
JURISPRUDENCE
CE 23 mai 2011, n°342520, Commune de Six-fours-les-plages : « Considérant qu’en vertu des dispositions du I de l’article 1er du code des marchés publics, les contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs et des opérateurs économiques publics ou privés pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services sont des marchés publics soumis aux dispositions de ce code ; qu’il ressort des pièces du dossier que la convention du 28 mars 2007, signée sans procédure de publicité et mise en concurrence, a été conclue à l’initiative la COMMUNE DE SIX-FOURS-LES-PLAGES, en vue de confier à un professionnel du spectacle des prestations d’exploitation de la billetterie et de promotion du festival des Voix du Gaou ; qu’elle prévoit ainsi la fourniture d’un service à la commune pour répondre à ses besoins, moyennant un prix tenant en l’abandon des recettes du festival et au versement d’une somme annuelle de 495 000 euros ; que, dès lors, la convention litigieuse doit être regardée comme constitutive d’un marché public de services ;
Considérant que la commune requérante ne peut utilement se prévaloir, d’une part, de ce que les sommes versées à la société étaient appelées subventions et, d’autre part, de ce que les personnes publiques peuvent accorder des subventions aux entreprises de spectacles vivants en application des dispositions de l’article 1-2 de l’ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles, lesquelles ne permettent pas de déroger, en tout état de cause, aux règles de publicité et de mise en concurrence prévues par le code des marchés publics ; qu’il résulte de ce qui précède que la commune ne pouvait conclure la convention litigieuse sans procéder aux mesures de publicité et de mise en concurrence applicables aux marchés publics de services ; »
Or les conclusions du rapporteur public, disponibles sur demande au service de diffusion du Conseil d’Etat, indiquaient que si l’objet du contrat était l’organisation de 9 concerts de variété nationale ou internationale au cours de la période du 8 juillet au 8 août des années 2007 à 2009 moyennant le versement d’une subvention de 495 000 €, en sens inverse la société entendait diriger la conception et la définition du projet de festival, la seule contrainte imposée étant de ne pas nuire à l’image de la commune, de mentionner sa participation et de faire figurer son logo dans les campagnes de promotion, la convention stipulant en outre que la commune n’avait de responsabilité ni dans la production et la qualité des spectacles, ni dans la billetterie et le tarif des spectacles, ceux-ci étant placés sous la responsabilité financière, morale et artistique de la société. Malgré cette faible implication de la commune dans la définition du contenu de la mission, le Conseil conclut donc à l’existence d’un marché.
3.1.2 – La distinction du marché et de l’aide d’Etat
Celle-ci intervient dans des hypothèses où est généralement recherché, par la personne publique, la qualification de marché afin d’échapper au risque de voir le versement d’une somme d’argent qualifié d’aide d’Etat, avec la conséquence de son illégalité faute d’avoir été notifiée au préalable à la Commission européenne. Aussi, la tendance de la jurisprudence n’est pas ici d’étendre la notion de marché public aussi loin que la jurisprudence peut le faire lorsqu’il s’agit de se prononcer sur le versement d’une subvention au sens interne.
Il en résulte que la jurisprudence utilise alors principalement un critère, celui de l’équivalence entre la somme versée et la prestation.
JURISPRUDENCE
CE 27 février 2006, n°264406, Compagnie Ryanair Limited : « Considérant que la cour administrative d’appel a estimé que les engagements financiers souscrits par la CHAMBRE DE COMMERCE ET D’INDUSTRIE DE STRASBOURG ET DU BAS-RHIN excédaient très largement le coût des actions de promotion touristique mises à la charge de la COMPAGNIE RYANAIR LIMITED et ne pouvaient, par conséquent, être regardés comme la rémunération normale d’une prestation, telle qu’aurait pu la verser un investisseur privé en économie de marché ; que, ce faisant, la cour, qui n’était pas tenue de discuter des termes d’un rapport produit par la chambre de commerce et d’industrie, n’a ni commis d’irrégularité en fondant cette appréciation notamment sur les actions de promotion effectivement réalisées par la COMPAGNIE RYANAIR LIMITED, ni méconnu les principes régissant la responsabilité contractuelle en se bornant à constater que les contrats ne prévoyaient pas la restitution des sommes versées en cas d’inexécution des obligations de cette compagnie ; qu’en en déduisant que ces avantages, qu’un investisseur avisé opérant dans les conditions du marché n’aurait pas consentis, nonobstant la circonstance que la concession aéroportuaire a, en raison de ces subventions, par ailleurs bénéficié de l’augmentation du trafic générée par l’arrivée de la COMPAGNIE RYANAIR LIMITED, qui ne profitent qu’à la COMPAGNIE RYANAIR LIMITED, qui sont consentis par un établissement public de l’Etat, placé sous sa tutelle, tenant de lui sa mission, doté à cette fin de prérogatives de puissance publique et qui sont financés par des ressources publiques, présentent le caractère d’aides au sens de l’article 87 du traité et auraient dû, de ce fait, être notifiés préalablement à la Commission des Communautés européennes en application de l’article 88 du traité, la cour administrative d’appel n’a pas donné des faits qui lui étaient soumis une qualification juridique inexacte ».
Encore convient-il de remarquer que la jurisprudence, en particulier européenne, va même jusqu’à vérifier la réalité du besoin de la personne publique. Le tribunal de l’Union européenne (ex. TPICE) l’a ainsi jugé à propos de l’achat de bons de voyages par une région espagnole sur une ligne maritime entre l’Espagne et l’Angleterre, nonobstant l’existence d’une politique sociale d’offre de bons de voyages à certaines personnes résidentes dans la région en question.
JURISPRUDENCE
TPICE, 28 janvier 1999, T-14/96 : « En effet, le dossier produit devant le Tribunal ne permet pas de conclure que le nombre de bons de voyage qui font l’objet de l’accord de 1995 ait été déterminé par une augmentation des besoins effectifs ressentis par les pouvoirs publics, lesquels auraient exigé l’acquisition d’un total de 46 500 bons de voyage à utiliser sur la ligne Bilbao-Portsmouth au cours des années 1995-1998, alors que ces besoins ne portaient initialement que sur un total de 26 000 bons de voyage pour les années 1993-1996. En outre, l’avantage susceptible de renforcer la position concurrentielle de Ferries Golfo de Vizcaya n’est pas éliminé du simple fait que l’entreprise bénéficiaire est tenue de fournir une plus grande quantité de services de transport, en contrepartie d’une prestation financière qui reste relativement inchangée. Dans la mesure où les bons de voyage acquis par les autorités espagnoles ne peuvent être utilisés que pendant la basse saison, la prestation accrue fournie par l’entreprise ne lui impose pas, en principe, des coûts supplémentaires significatifs et, par conséquent, les effets du nouvel accord sur la concurrence et les échanges entre États membres sont les mêmes que ceux qui pouvaient être imputés à l’accord de 1995 ».
En conséquence, l’achat en cause est qualifié d’aide d’Etat.
Mais, en sens inverse, un requérant concurrent du bénéficiaire d’une aide, qui conteste la décision de compatibilité d’une aide, peut chercher à requalifier une aide d’Etat en marchés publics afin de déclarer illégal l’attribution de la somme d’argent sans mise en concurrence. On retrouve là le même objectif que celui recherché par certains requérants au regard des mesures qualifiées initialement de subventions au sens interne.
Ainsi, le tribunal de l’Union européenne a-t-il dénié la qualification de marché s’agissant de l’aide accordée à une filiale d’EDF pour la construction de la centrale nucléaire d’Hinkley Point.
Le contrat d’écart compensatoire conclu par le Royaume-Uni avec une filiale d’EDF exploitant une centrale nucléaire constitue donc une aide d’État, et ne rentre pas dans la catégorie des contrats de la commande publique compte tenu du fait que le contrat ne prévoit aucune obligation contraignante à la charge de son bénéficiaire.
JURISPRUDENCE
Trib. UE, 12 juill. 2018, aff. T-356/15, République d’Autriche : « 649 À cet égard, il convient de relever que, comme il ressort notamment des considérants 219, 312, 313 et 356 de la décision attaquée, le contrat d’écart compensatoire ne permet pas au Royaume-Uni d’exiger de NNBG ni qu’elle construise Hinkley Point C, ni qu’elle fournisse de l’électricité. Le contrat d’écart compensatoire n’établit aucune exigence spécifique, ni en ce qui concerne les travaux à effectuer par NNBG, ni en ce qui concerne l’électricité à fournir. Dans l’hypothèse où NNBG n’achèverait pas la construction de ladite unité ou ne produirait pas d’électricité, le Royaume-Uni ne disposerait pas non plus d’un droit au paiement de dommages et intérêts de la part de NNBG. Cet État membre pourra toutefois résilier le contrat d’écart compensatoire unilatéralement, si la construction n’est pas achevée à la date d’échéance.
650 Eu égard à ces caractéristiques du contrat d’écart compensatoire, contrairement à ce qu’avance la République d’Autriche, il ne saurait être considéré qu’il vise à couvrir un besoin concret du Royaume-Uni en tant que pouvoir adjudicateur. Au contraire, l’objet du contrat d’écart compensatoire est l’octroi d’une subvention, et, par cette subvention, le Royaume-Uni se limite à inciter NNBG et ses investisseurs à réaliser l’objectif d’intérêt public visé par cet État membre, à savoir la création de nouvelles capacités de production d’énergie nucléaire.
651 Il s’ensuit que le contrat d’écart compensatoire ne prévoit pas d’obligation contraignante pour NNBG portant sur l’exécution des travaux, sur la fourniture des produits ou sur la prestation des services au sens de la directive 2004/17 ou de la directive 2004/18. Partant, il convient de rejeter l’argument de la République d’Autriche tiré de ce que les mesures en cause constituent un marché au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/17 ou un marché public au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18 ».
On se rangera à l’avis d’un auteur pour estimer que si la solution n’était pas évidente au premier abord, elle s’avère finalement logique.
DOCTRINE
Marion UBAUD-BERGERON, Contrats et Marchés publics n° 10, Octobre 2018, comm. 217 : « Cette solution ne relève pas de l’évidence. On sait en effet que si la notion de « besoin » est au cœur de la conception française du marché public, les directives européennes abordent de façon beaucoup plus large le critère matériel des marchés et concessions en se limitant à en définir l’objet (travaux, services, fournitures) davantage que leur fonction (répondre à un besoin), même si la Cour fait du critère de l’intérêt économique direct un critère décisif des marchés publics (CJUE, 25 mars 2010, aff. C-451/08, Helmut Müller c/ Bundesanstalt für Immobilienaufgaben : JurisData n° 2010-003820 ; Contrats-Marchés publ. 2010, repère 5, F. Llorens et P. Soler-Couteaux ; Contrats-Marchés publ. 2010, comm. 164, note W. Zimmer). Il est vrai toutefois que l’absence d’obligation certaine pesant sur NNBG quant à la construction ou la poursuite de l’activité doit raisonnablement conduire à écarter la qualification de marché public, quand, inversement, les mesures incriminées de soutien financier tendraient à devoir écarter la présence d’une réelle exposition aux aléas du marché, critère central des concessions ».
3.2 – Présomption d’absence de marché en l’absence de versement d’une somme d’argent
En l’absence de versement d’une somme d’argent par l’acheteur, il n’y aura pas en principe marché, soit parce que l’on est en présence d’une concession, soit parce qu’on est en présence d’un contrat qui n’est ni une concession ni un marché telle une convention d’occupation du domaine public, faute de répondre aux besoins de la personne publique.
REMARQUE
La risque de requalification d’une convention d’occupation en contrat de la commande publique consistera surtout en un risque de requalification en concession. C’est la raison pour laquelle ce risque est examiné à titre principal dans le dossier sur la notion de concession. Néanmoins, une allusion est faite ultérieurement dans le présent dossier à propos de l’apport de l’avis du Conseil d’Etat du 22 janvier 2019.
Néanmoins, un marché peut être identifié si, outre le fait qu’il répond à un besoin du pouvoir adjudicateur, il prévoit une contrepartie financière et à condition qu’il n’y ait pas risque d’exploitation à la charge du cocontractant. Cette contrepartie financière peut consister en un abandon de recettes ou un abandon de créances.
3.2.1 – La contrepartie financière par abandon de recettes
Plusieurs jurisprudences illustrent, dans différents domaines, la présence d’un marché public par abandon de recettes. Il est permis de se demander toutefois si certaines de ces hypothèses ne pourraient aboutir à une requalification en concession.
● La qualification en marché
Une première illustration de cette qualification de marché par abandon de recettes a visé le cas des contrats de mobilier urbain. Après hésitations des juridictions du fond, le Conseil d’Etat est venu affirmer, par un célèbre arrêt d’assemblée « Decaux », l’existence d’un marché public en l’absence de prix ou, pour reprendre les termes du commissaire du gouvernement dans ses conclusions précitées, en présence d’un « prix négatif », expression parfois reprise en doctrine (.M. Morales, « Le prix négatif dans les marchés publics », AJDA 2015 p.1527).
JURISPRUDENCE
CE Ass. 4 novembre 2005, n°247298, Société Jean-Claude Decaux, RFDA 2005, p. 1083, concl. D. Casas : « Considérant, en second lieu, qu’il résulte des constatations souveraines opérées par le juge du fond qu’en application de la convention signée entre la commune de Villetaneuse et la SOCIETE JEAN-CLAUDE DECAUX, il appartenait à cette dernière de fournir, d’installer et d’assurer l’entretien d’abribus publicitaires comportant un banc et de mobiliers urbains publicitaires permettant l’affichage de plans ou d’informations municipales ; que ces mobiliers urbains étaient destinés à répondre aux besoins de la commune en matière d’information de ses habitants et de protection des usagers des transports en commun ; qu’en contrepartie des prestations ainsi assurées par la SOCIETE JEAN-CLAUDE DECAUX, la commune l’a autorisée à exploiter, à titre exclusif, une partie du mobilier urbain à des fins publicitaires et l’a exonérée de redevance pour occupation du domaine public; que la cour a pu juger, sans commettre d’erreur de droit, que l’autorisation et l’exonération ainsi accordées constituaient des avantages consentis à titre onéreux par la commune en contrepartie des prestations fournies par la société alors même que ces avantages ne se traduisent par aucune dépense effective pour la collectivité ; que la cour, en admettant ce caractère onéreux, n’a pas méconnu le principe de la liberté de l’industrie et du commerce qui n’interdisait pas à la commune de valoriser son domaine public ; qu’enfin, par un motif non contesté, la cour a jugé que le contrat n’était pas une délégation de service public faute notamment de prise en charge effective d’un service public par la société contractante ; qu’ainsi, la SOCIETE JEAN-CLAUDE DECAUX ne peut utilement invoquer à l’encontre de l’arrêt de la cour le moyen tiré de ce qu’une part substantielle de sa rémunération proviendrait des recettes de son activité publicitaire ».
Cette qualification a pu être critiquée, et a d’ailleurs été abandonnée en 2018 (cf. infra).
La jurisprudence a aussi identifié un marché public dans la fabrication et de la distribution de bulletins d’information municipale moyennant perception de recettes publicitaires par le prestataire. L’arrêt est intéressant en ce qu’il offre une méthode pour calculer le montant prévisible du marché : il s’appuie sur la moyenne des recettes publicitaires des trois années précédant le nouveau contrat.
JURISPRUDENCE
CAA Paris 11 octobre 1994, n°93PA01072, SARL Editor Tennog c/ Commune de Houilles, Rec. p. 663 : « que le montant total de l’opération objet d’un marché, au sens de ces dispositions, est égal au coût global de la prestation intégrant la rémunération du co-contractant ; que lorsque le contrat ne le fixe pas mais confie au prestataire le soin de collecter, à son profit, des ressources publicitaires, il correspond au total du montant prévisible de ces dernières et des sommes éventuellement versées par la collectivité ; Considérant que la commune de Houilles a confié à la société à responsabilité limitée Editor Tennog l’édition de son bulletin municipal par contrat du 21 février 1973, dont l’article 7 précisait qu’il était conclu pour la durée du mandat municipal en cours, et serait renouvelé par tacite reconduction sauf dénonciation par l’une ou l’autre des parties six mois avant la date d’expiration ; que, par l’effet de cette clause, le contrat s’est trouvé tacitement renouvelé à la suite des différentes élections municipales qui ont eu lieu depuis sa signature, et, en dernier lieu, en 1989 ; Considérant que, dans son article 3, le contrat tacitement reconduit en 1989, qui a le caractère d’un marché de prestations de service devant être passé conformément, notamment, aux dispositions précitées des articles 279 et 309 du code des marchés publics, autorisait la société à responsabilité limitée Editor Tennog à recueillir, après accord du maire, des « contrats de publicité conformes aux intérêts matériels ou moraux de la publication » ; que la commune de Houilles faisait ainsi abandon au profit de son co-contractant des recettes publicitaires que devait générer l’édition du bulletin durant les six années à venir ; que le montant desdites recettes s’est élevé, pour les trois dernières années de la précédente période d’exécution du contrat, à la somme totale de 965.866,68 F excédant ainsi le seuil de 350.000 F fixé en application des dispositions précitées de l’article 309 du code des marchés publics »
La question de l’abandon de recettes publicitaires a posé néanmoins la question de la légalité de leur perception au regard des règles de la comptabilité publique.
JURISPRUDENCE
CE 6 novembre 2009, n°297877, Société Prest’action : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un marché conclu en 1999 avec la commune de Rouen, la SOCIETE PREST’ACTION s’était engagée à commercialiser auprès des annonceurs des encarts publicitaires dans certaines publications d’information municipale ; qu’en exécution de ce marché, la société était chargée de la prospection des annonceurs, procédait à la facturation des espaces publicitaires et préparait la mise en page des publicités à insérer dans les publications ; que la société se rémunérait en conservant une partie des recettes issues de la vente des encarts publicitaires auprès des annonceurs, l’autre partie devant être versée à la ville, à charge toutefois pour la société de verser à celle-ci une somme annuelle minimale fixée à 650 000 francs (99 091,86 euros) pour la première année (…) ;
qu’ainsi, et sauf dans les cas où la loi autorise l’intervention d’un mandataire, il résulte des dispositions qui précèdent que, sous réserve des dispositions du troisième alinéa de l’article 14 et de l’article 18 du décret précité, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ne peuvent décider par convention de faire exécuter une partie de leurs recettes ou de leurs dépenses par un tiers autre que leur comptable public, lequel dispose d’une compétence exclusive pour procéder au recouvrement des recettes et au paiement des dépenses publiques ; qu’en outre, en vertu du principe d’universalité qui régit les finances publiques, des recettes publiques ne peuvent servir à compenser une somme due par l’administration et doivent être intégralement reversées au comptable public ».
Le problème a été résolu par la loi, même si cela implique de respecter un certain formalisme. L’article 40 de la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives est à l’origine du décret n° 2015-1670 du 14 décembre 2015 portant dispositions relatives aux mandats confiés par les collectivités territoriales et leurs établissements publics qui offre cet assouplissement. Est requis un avis conforme du comptable public et une convention écrite. La convention doit imposer une reddition au moins annuelle des comptes et des pièces correspondantes. De même a été adopté le décret n° 2017-380 du 22 mars 2017 portant dispositions relatives aux conventions de mandat conclues par l’Etat en application du III de l’article 40 de la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014, complété par l’arrêté du 18 septembre 2017 portant dérogation au titre de l’article 2 du décret n° 2017-380 du 22 mars 2017.
Enfin, il peut y avoir abandon de recettes dans d’autres circonstances, par paiement en nature, y compris en cas d’exploitation d’une partie du sol de l’emprise confiée au prestataire, ce qui n’implique pas alors convention de mandat.
JURISPRUDENCE
CE 3 juin 2009, n° 311798, Commune de Saint-Germain-en-Laye : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la COMMUNE DE SAINT-GERMAIN-EN-LAYE a souhaité procéder à la réhabilitation de terrains, appartenant à la ville de Paris, situés dans la plaine d’Achères, en vue d’y développer des espaces paysagers ou forestiers, d’y créer un centre de recherche sur les technologies de l’eau et de l’assainissement et d’y installer un centre d’entraînement du club professionnel du Paris Saint-Germain ; que pour financer l’acquisition de ces terrains, ainsi que leur dépollution, la commune a souhaité en confier la charge à un opérateur moyennant le droit d’exploiter, sur une partie des terrains en cause, pendant une durée de quinze ans, un gisement de granulats compris dans le sous-sol, la ville percevant une rétribution au titre du droit de fortage en tenant compte des charges incombant à l’opérateur et du bénéfice qu’il est en droit d’attendre. (…)Considérant qu’ayant ainsi caractérisé l’objet du contrat, le juge des référés en a déduit, ainsi qu’il y était explicitement tenu dès lors que sa compétence pour connaître de la procédure était contestée, et sans soulever d’office un moyen, que ce contrat administratif devait être regardé comme un marché public de travaux au sens de l’article 1er de la directive 2004/18 du 31 mars 2004; que la circonstance que la commune n’assurerait pas la maîtrise d’ouvrage des travaux envisagés ne faisant pas obstacle à une telle qualification, le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit à cet égard ; qu’il a également pu, sans commettre d’erreur de droit, juger que la rémunération du titulaire du marché était en l’espèce assurée par l’exploitation de la carrière ; que le juge des référés n’a pas méconnu les dispositions précitées de l’article L. 551-1 du code de justice administrative en se reconnaissant compétent pour connaître de la demande dirigée contre la procédure de passation d’un tel contrat ; »
De même, un contrat ayant pour objet l’émission et la distribution de chèques emploi-service universels, de titres-restaurants et de titres cadeaux est un marché public (CE 4 mars 2021, n°438859, Département de la Loire). Le Conseil d’Etat identifie ici un contrat qui pourrait être, au premier abord, vu comme une concession mais pour lequel la qualification de marché s’impose faute d’exposition réelle aux aléas du marché. Pour le juge, « Si les stipulations du projet de contrat ne font pas obstacle à ce que, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires encadrant chaque catégorie de titre préfinancé, le cocontractant qui projette d’exécuter le service prélève une commission à l’occasion du remboursement des titres aux personnes physiques ou morales les ayant acceptés en paiement ou place les sommes versées par le département durant le laps de temps précédant leur remboursement, le coût de l’émission des titres et de leur distribution est intégralement payé par le département et le cocontractant bénéficie, à titre de dépôt, des fonds nécessaires pour verser leur contre-valeur aux personnes physiques ou morales auprès desquelles les titres seront utilisés. Il résulte de ce qui précède que le cocontractant ne supporte aucun risque d’exploitation ».De fait, le coût de l’émission des titres et de leur distribution est intégralement payé par la collectivité ; d’autre part, comme l’indique le rapporteur public, « s’il reste un risque commercial pour ce dernier, tenant à ce que les affiliés seraient en nombre insuffisant pour accepter les titres ou refuseraient les conditions tarifaires liées aux commissions, un tel risque est parfaitement résiduel vu l’organisation du marché, qui est structuré depuis longtemps, alors, au demeurant, que l’incitation à user de leurs titres est très forte pour les bénéficiaires, ce qui est de nature à garantir le maintien d’un solide réseau d’affiliés et donc des commissions qui les accompagnent ».
● Risque d’une requalification en concession
Celle-ci est envisagée depuis un certain temps en doctrine pour les contrats de mobilier urbain.
DOCTRINE
Laurent Richer, François Lichère, Droit des contrats administratifs, LGDJ, 10eme édition, n°813 : « La jurisprudence s’est laissée sans doute entraîner trop loin en admettant que le transfert du droit d’exploitation peut être assimilé à un prix (CE 23 mai 2011, commune de six Fours, n° 342520) alors même que cela ne représente pas une charge pour l’acheteur. Il semblerait qu’elle revienne à une conception plus restrictive (TC 7 avril 2014, SEVP, C3949, RJEP 2014, n° 725, com. 51, obs. Maugüe ; CE 14 novembre 2014 SMEAG, 373156), ce qui pourrait conduire à considérer ces contrats comme des concessions de service soumis à l’ordonnance du 29 janvier 2016 ».
Voir aussi le commentaire de Gilles Pellissier sur l’arrêt SA Partouche, RJEP n°700, 2012, comm. 41 et F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « Contrats de mobilier urbain et concessions : un bilan d’étape », Contrats et marchés publics n° 10, oct. 2017
De fait, toutes les jurisprudences citées plus haut – et pas seulement celle sur les mobiliers urbains – omettent de préciser que le cocontractant ne doit pas, pour autant, assumer le risque d’exploitation faute de quoi on sera en présence d’une concession.
Le Conseil d’Etat a d’ailleurs commencé ce travail de requalification. Ainsi en va-t-il en principe des contrats de mobilier urbain qui répondent aux besoins d’une personne publique : après avoir été considérés comme des marchés publics, ce qui avait pu être critiqué, le Conseil d’Etat a fini par y voir des concessions de service, comme cela avait été anticipé.
DOCTRINE
Alain Ménéménis, « Contrats de mobilier urbain : quelques éléments de réflexion sur les arrêts Decaux », AJDA 2006, p.120 : « Si on tenait à faire entrer les contrats de mobilier urbain dans une catégorie, on pouvait en revanche être enclin à considérer qu’ils relevaient d’une logique concessive. Cherchant à dégager le « concept de concession » et à en définir la « logique profonde », Laurent Richer note que « la rationalité de la concession est de conférer le droit de mettre en valeur des biens, à la place de la collectivité publique, qui accepte de se retirer » (Délégation de service public : une notion difficile à cerner, MTPB 6 juin 1997, p. 56-58) ».
François Lichère, « La qualification de marchés publics pour les contrats de mobilier urbain », note sous CE Ass. 4 novembre 2005, Société Jean-Claude Decaux, R.J.E.P./C.J.E.G. 2006, n°628, p. 71 : « Ces propos relatifs à des contrats différents de ceux en cause dans l’affaire commentée nous ramènent finalement à la solution adoptée par l’assemblée du contentieux. Celle-ci laisse quelque peu insatisfait en pure logique juridique de droit interne même si sur le fond de tels contrats se doivent à l’évidence d’être passés après mise en concurrence. Il y avait en effet un vide juridique peu compatible avec les exigences modernes de transparence et même indirectement de protection des deniers publics . La question reste posée de savoir s’il appartenait au juge de combler ce vide ».
Dans une affaire Ville de Paris (CE 5 février 2018, n° 416581), le Conseil d’Etat a implicitement considéré le contrat de mobilier urbain de concession de service sans expliciter la solution, faute de discussion contentieuse sur ce point.
Les conclusions du rapporteur public, disponibles sur Arianeweb, expliquent en note de bas de page les raisons de cette requalification : « Cette qualification s’impose en effet dans le contexte juridique de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concessions, applicable au présent litige. La qualification de marchés publics retenue pour ces contrats de mobilier urbain par la décision d’Assemblée société Jean-Claude Decaux du 4 novembre 2005, dans un contexte normatif qui ne connaissait qu’une catégorie particulière de concession de services, les délégations de services publics, est désormais obsolète ». Autrement dit, la distinction marché/concession conduit à réduire la catégorie des marchés publics par rapport à l’époque où la distinction s’opérait entre marché et délégation de service public.
Il est vrai que ce même arrêt Decaux avait dénié, à raison, toute délégation de service public dans le cas de contrats de mobilier urbain. On peut toutefois se demander si la requalification n’aurait pu avoir lieu bien avant car, même avant que l’ordonnance du 29 janvier 2016 ne transpose la toute nouvelle directive concession n°2014/23 du 26 février 2014, la Cour de justice avait imposé un minimum de publicité aux concessions de service dans le célèbre arrêt Telaustria (CJCE 7 décembre 2000, C-324/98). L’arrêt Ville de Paris de 2018 est également intéressant en ce qu’il admet qu’en cas d’urgence, il puisse être passé une concession de service provisoire sans mise en concurrence, même au-dessus des seuils européens et alors que la directive ne le prévoit pas.
Encore faut-il être sûr qu’il y a bien risque d’exploitation. Un arrêt du 25 mai 2018 réserve d’ailleurs le cas où le contrat de mobilier urbain pourrait être qualifié de marché public en cas de prise en charge des pertes ou de versement d’un prix.
JURISPRUDENCE
CE 25 mai 2018, n°416825, Société Philippe Védiaud Publicité : « 3. Considérant que le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Melun a relevé, d’une part, que le contrat litigieux avait pour objet l’installation, l’exploitation, la maintenance et l’entretien de mobiliers urbains destinés notamment à l’information municipale, d’autre part, que le titulaire du contrat devait assurer ces prestations à titre gratuit et était rémunéré par les recettes tirées de la vente d’espaces à des annonceurs publicitaires ; que, pour juger que ce contrat était un marché public et non une concession de service, il s’est borné à constater qu’il confiait à titre exclusif l’exploitation des mobiliers à des fins publicitaires à son attributaire, pour en déduire qu’aucun risque n’était transféré à ce dernier ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la société attributaire du contrat assumait un risque réel d’exploitation, il a commis une erreur de droit ; que, dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, la commune de Saint-Thibault-des-Vignes est fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ; qu’il n’y a par suite plus lieu de statuer sur le pourvoi de la société Philippe Védiaud Publicité ;
4. Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Girod Médias ;
5. Considérant qu’il résulte de l’instruction que le contrat litigieux, dont l’objet et l’équilibre économique ont été rappelés au point 3 ci-dessus, ne comporte aucune stipulation prévoyant le versement d’un prix à son titulaire ; que celui-ci est exposé aux aléas de toute nature qui peuvent affecter le volume et la valeur de la demande d’espaces de mobilier urbain par les annonceurs publicitaires sur le territoire de la commune, sans qu’aucune stipulation du contrat ne prévoie la prise en charge, totale ou partielle, par la commune des pertes qui pourraient en résulter ; qu’il suit de là que ce contrat, dont l’attributaire se voit transférer un risque lié à l’exploitation des ouvrages à installer, constitue un contrat de concession et non un marché public ; »
On pourrait même envisager qu’il puisse y avoir marché même sans prise en charge des pertes ou versement d’un prix. Ce pourrait être le cas si les recettes publicitaires prévisibles étaient largement supérieures aux coûts à la charge du cocontractant, compte tenu des connaissances relatives aux unes et aux autres résultant de l’exploitation passée.
Quoi qu’il en soit, la notion de concession au sens européen du terme désormais mise en avant invite à reconsidérer toutes les jurisprudences antérieures basées sur l’idée d’un abandon de recettes et qui n’avaient pas recherché l’existence d’une concession, faute souvent de service public confié au cocontractant et donc faute de possibilité de qualification de délégation de service public.
De fait, le Tribunal des conflits a dénié tout caractère de marché public à un contrat d’édition d’information municipale, sans pour autant se prononcer sur l’existence d’une concession. De même, le Conseil d’Etat a dénié toute existence d’un marché public sur le seul motif financier, sans requalifier en concession une convention d’occupation du domaine public pour l’aménagement et l’exploitation de deux parcours d’aventure forestiers .
JURISPRUDENCE
TC 7 avril 2014, C3949, SEVP : « Considérant que, par un contrat signé le 13 décembre 1986, l’office municipal de tourisme de Rambouillet, établissement public local qui tient sa qualité d’établissement public industriel et commercial de la loi du 10 juillet 1964 relative à la création d’offices du tourisme dans les stations classées, a confié à la société » Services d’Edition et de Ventes Publicitaires » l’édition d’un guide touristique de la ville de Rambouillet et de ses environs, rédigé par l’office, pour une durée de trois ans, renouvelable par tacite reconduction ; qu’en contrepartie de cette prestation de service, le contrat concède à la société SEVP l’exploitation, à titre exclusif, de la publicité dans ce guide et prévoit que la société tirera sa rémunération de l’exercice de cette activité économique, en vendant des espaces aux annonceurs publicitaires ; Considérant, d’une part, que, eu égard à son objet et à son équilibre financier, un tel contrat ne constitue pas un marché public ; que, par suite, il n’est pas un contrat administratif par détermination de la loi du 11 décembre 2011 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier ».
CE 14 novembre 2014, n° 373156, SMEAG: « Considérant que, pour annuler la décision du 9 mars 2006 et la délibération du 1er juin 2006, la cour administrative d’appel, après avoir relevé que le syndicat avait d’abord entendu passer un marché public et que, notamment, il avait publié un avis d’appel public à concurrence pour la passation d’un tel marché, avant de conclure à l’issue de la procédure de publicité et de mise en concurrence une convention d’occupation du domaine public, a jugé que ces actes étaient entachés de détournement de procédure ; que, ce faisant, elle a nécessairement estimé que la convention litigieuse était un marché public ; qu’en statuant ainsi, alors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que le contrat ne prévoyait pas le paiement d’un prix par le syndicat et imposait, au contraire, au cocontractant le paiement d’une redevance dont le montant était un des critères de sélection des offres des candidats, la cour a inexactement qualifié le contrat en cause ».
Dans les deux affaires, la requalification en concession ne présentait aucune utilité : dans la première, il s’agissait de savoir s’il y avait contrat administratif par détermination de la loi du 11 décembre 2011, laquelle ne concernait à l’époque que les seuls marchés publics. Dans la deuxième, le juge s’est borné à vérifier que la procédure de passation ad hoc mise en place par la personne publique assurait bien l’égalité des candidats.
Mais il est possible que dans l’un comme dans l’autre cas, on fut bien en présence d’une concession de service. Et le même raisonnement peut être tenu pour les autres hypothèses jurisprudentielles précitées ayant conclu à la présence d’un marché public, à l’image de l’édition de bulletin d’information municipale.
3.2.2 – La contrepartie financière par abandon de créances
Cette hypothèse renvoie aux cas où la contrepartie financière réside uniquement dans le fait que l’acheteur renonce à une créance qu’il détient auprès d’un opérateur économique. Cette hypothèse est sans doute beaucoup plus rare que l’abandon de recettes car on imagine qu’il ne puisse pas toujours y avoir un abandon suffisant de créances qui vienne ainsi compenser les tâches demandées au cocontractant.
Cela étant, c’est précisément le cas lorsqu’une réglementation laisse le choix entre verser une somme à la personne publique ou bien réaliser des travaux ou accomplir des services qui répondent aux besoins de cet acheteur. La CJCE a ainsi admis que le caractère onéreux dans le cas précité de la construction d’un théâtre au sein d’une opération plus grande d’aménagement urbain. Le cocontractant s’engageait à réaliser un ouvrage dont le prix était égal à la participation dont il était ainsi dispensé.
JURISPRUDENCE
CJCE 12 juillet 2001, C-399/98, Ordine degli architetti delle province di Milano : « La directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, s’oppose à une législation nationale en matière d’urbanisme lorsque celle-ci permet, en dehors des procédures prévues par cette directive, la réalisation directe par le titulaire d’un permis de construire ou d’un plan de lotissement approuvé d’un ouvrage d’équipement, en déduction de tout ou partie de la contribution due au titre de l’octroi du permis, et que la valeur de cet ouvrage égale ou dépasse le seuil fixé par ladite directive ».
C’était probablement le cas aussi dans l’affaire belge précitée à propos de l’existence d’un contrat de lotissement avec charge (logements sociaux), même si la Cour de justice a renvoyé à la juridiction nationale le soin de vérifier que les autres éléments de la définition du marché public étaient remplis.
En outre, l’abandon de créances pourra se combiner avec l’abandon de recettes, à l’image du renoncement à percevoir les redevances d’occupation du domaine public dans les contrats de mobilier urbain.
4 – L’élément matériel : un contrat conclu pour répondre aux besoins de l’acheteur
Il résulte de l’article L. 1111-2 du CCP que le marché public a pour objet de « répondre aux besoins des acheteurs publics en matière de travaux, de fournitures ou de services ».
De manière intéressante, la définition européenne ne fait pas référence aux « besoins ». Elle indique que « la passation d’un marché est l’acquisition, au moyen d’un marché public de travaux, de fournitures ou de services par un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs auprès d’opérateurs économiques choisis par lesdits pouvoirs, que ces travaux, fournitures ou services aient ou non une finalité publique » (art. 1er-2, dir. 2014/24/UE). Néanmoins, la notion de besoins se retrouve indirectement dans la définition propre aux marchés de travaux, de fournitures ou de services. Encore faut-il garder à l’esprit que ce besoin doit être largement entendu comme il sera vu.
Cela suppose donc de distinguer travaux, fournitures et services.
4.1 – Les marchés publics de travaux
C’est probablement cette catégorie qui pose le plus de difficultés d’identification. Cela tient au fait que les requalifications de certains contrats en marchés publics interviennent en particulier dans le domaine des travaux.
Cela tient également au fait que la conception française a pu différer de la conception européenne. Ainsi, jusqu’à l’ordonnance du 23 juillet 2015, la définition française du code des marchés publics faisait référence à l’existence d’une maîtrise d’ouvrage publique – le marché public de travaux étant celui passé par un maître d’ouvrage – alors que le droit européen ne connait pas de la notion. Aussi, le Conseil d’Etat a pu juger qu’il n’y avait pas marché de travaux s’agissant d’un bail emphytéotique administratif dit « aller-retour ».
JURISPRUDENCE
CE 25 février 1994, n°144641, SOFAP Marignan Immobilier : « Considérant d’autre part que, dans l’opération ainsi entreprise, la ville de Lille n’assurera pas la direction technique des actions de construction, ne deviendra propriétaire des ouvrages qu’au terme du bail, et ne jouera ainsi ni pendant la réalisation desdits ouvrages ni avant le terme fixé, le rôle de maître d’ouvrage ; que par suite l’opération en vue de laquelle a été passé le bail contesté ne présente pas, même si une partie des ouvrages répond aux besoins de la ville de Lille, le caractère d’une opération de travaux publics ; que c’est par suite à tort que le tribunal administratif s’est, pour annuler la délibération autorisant la passation du bail, fondé sur ce que ladite opération constituait en réalité un marché de travaux publics et ne pouvait être réalisée sur le fondement de l’article 13 de la loi du 5 janvier 1988 ».
Mais désormais une telle situation ne se retrouvera pas : dans la mesure où la maîtrise d’ouvrage publique ne fait plus partie de la définition interne du marché public de travaux, il y aura marché de travaux dès que les travaux répondent aux besoins du pouvoir adjudicateur, ce qui contribue à renforcer la sécurité juridique des marchés publics passés hors maîtrise d’ouvrage publique.
On remarquera par ailleurs que la nature des travaux importe peu : il y a marché public de travaux que les travaux soient publics ou privés au sens qu’en donne le droit des travaux publics puisqu’il s’agit d’une définition proprement interne, issue de la jurisprudence administrative et utile pour déterminer la compétence du juge administratif et le régime applicable aux travaux publics.
A l’heure actuelle, le droit français dispose, à l’article L. 1111-2 du CCP : « un marché de travaux a pour objet :
1° Soit l’exécution, soit la conception et l’exécution de travaux dont la liste figure dans un avis annexé au présent code ;
2° Soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par l’acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception.
Un ouvrage est le résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique ».
Ces deux définitions seront analysées avant de voir comment elles peuvent conduire à des opérations de requalification et d’envisager le cas particulier des concessions d’aménagement et des contrats de revitalisation artisanale et commerciale.
4.1.1 – Travaux dont la liste est fixée par les textes
La première catégorie consiste donc dans des travaux listés dans l’ « Avis relatif à la liste des activités qui sont des travaux en droit de la commande publique » (non daté, publié au JORF n°0077 du 31 mars 2019, texte n° 81, identique au précédent avis publié au JORF n°0074 du 27 mars 2016, texte n° 63).
TEXTE OFFICIEL
Avis relatif à la liste des activités qui sont des travaux en droit de la commande publique :
« I-1La liste des travaux mentionnés au 1° de l’article L. 1111-2 et au 1° de l’article L. 1121-2 du code de la commande publique est fixée comme suit :
45,11 Démolition et terrassements
Cette classe comprend :
– la démolition d’immeubles et d’autres constructions ;
– le déblayage des chantiers ;
– les travaux de terrassement : creusement, comblement, nivellement de chantiers de construction, ouverture de tranchées, dérochement, destruction à l’explosif, … ;
– la préparation de sites pour l’exploitation minière :
– l’enlèvement de déblais et autres travaux d’aménagement et de préparation des terrains et des sites miniers ;
– le drainage des chantiers de construction ;
– le drainage des terrains agricoles et sylvicoles.
45,12 Forages et sondages
Cette classe comprend :
– les sondages d’essai, les forages d’essai et les carottages pour la construction ainsi que pour les études géophysiques, géologiques et similaires.
45,21 Construction d’ouvrages, de bâtiment ou de génie civil
Cette classe comprend :
– la construction de bâtiments de tous types ;
– la construction d’ouvrages de génie civil – ponts (y compris ceux destinés à supporter des routes surélevées), viaducs, tunnels et passages souterrains ;
– conduites de transport, lignes de communication et de transport d’énergie électrique à longue distance ;
– conduites de transport, lignes de communication et de transport d’énergie électrique pour réseaux urbains ;
– travaux annexes d’aménagement urbain ;
– l’assemblage et la construction d’ouvrages préfabriqués sur les chantiers.
45,22 Réalisation de charpentes et de couvertures
Cette classe comprend :
– le montage de charpentes ;
– la pose de couvertures ;
– les travaux d’étanchéification.
45,23 Construction d’autoroutes, de routes, d’aérodromes et d’installations sportives
Cette classe comprend :
– la construction d’autoroutes, de routes, de chaussées et d’autres voies pour véhicules et piétons ;
– la construction de voies ferrées ;
– la construction de pistes d’atterrissage ;
– la construction d’équipements (autres que les bâtiments) pour stades, piscines, gymnases, courts de tennis, parcours de golf et autres installations sportives ;
– le marquage à la peinture des chaussées et des aires ou des parcs de stationnement.
45,24 Travaux maritimes et fluviaux
Cette classe comprend la construction de :
– voies navigables, ports, ouvrages fluviaux, ports de plaisance (marinas), écluses, etc. ;
– barrages et digues ;
– le dragage ;
– les travaux sous-marins.
45,25 Autres travaux de construction
Cette classe comprend :
– les activités de construction spécialisées qui concernent un aspect commun à différents ouvrages et requièrent des compétences ou du matériel spécialisés ;
– la réalisation de fondations, y compris le battage de pieux ;
– le forage et la construction de puits d’eau, le fonçage de puits ;
– le montage d’éléments de structures métalliques non fabriqués par l’unité qui exécute les travaux ;
– le cintrage d’ossatures métalliques ;
– la maçonnerie et le pavage ;
– le montage et démontage d’échafaudages et de plates-formes de travail propres ou loués ;
– la construction de cheminées et de fours industriels.
45,31 Travaux d’installation électrique
Cette classe comprend l’installation dans des bâtiments ou d’autres projets de construction des éléments suivants :
– câbles et appareils électriques ;
– systèmes de télécommunication ;
– installations de chauffage électriques ;
– antennes d’immeubles ;
– systèmes d’alarme incendie ;
– systèmes d’alarme contre les effractions ;
– ascenseurs et escaliers mécaniques ;
– paratonnerres, etc.
45,32 Travaux d’isolation
Cette classe comprend :
– la mise en œuvre dans des bâtiments ou d’autres projets de construction de matériaux d’isolation thermique, acoustique et antivibratile.
45,33 Plomberie
Cette classe comprend l’installation dans des bâtiments ou d’autres projets de construction des éléments suivants :
– plomberie et appareils sanitaires ;
– appareils à gaz ;
– équipements et conduites de chauffage, de ventilation, de réfrigération ou de climatisation ;
– installation d’extinction automatique d’incendie.
45,34 Autres travaux d’installation
Cette classe comprend :
– l’installation de systèmes d’éclairage et de signalisation pour chaussées, voies ferrées, aéroports et installations portuaires ;
– l’installation dans des bâtiments ou d’autres projets de construction d’installations et d’appareils non classés ailleurs.
45,41Plâtrerie
Cette classe comprend :
– la mise en œuvre dans des bâtiments ou d’autres projets de construction de plâtre ou de stuc pour enduits intérieurs et extérieurs, y compris les matériaux de lattage associés.
45,42 Menuiserie
Cette classe comprend :
– l’installation de portes, de fenêtres, de dormants de portes et de fenêtres, de cuisines équipées, d’escaliers, d’équipements pour magasins et d’équipements similaires, en bois ou en d’autres matériaux, non fabriqués par l’unité qui exécute les travaux ;
– les aménagements intérieurs tels que plafonds, revêtements muraux en bois, cloisons mobiles, etc.
45,43 Revêtement des sols et des murs
Cette classe comprend la pose dans des bâtiments ou d’autres projets de construction des éléments suivants :
– revêtements muraux ou carrelages en céramique, en béton ou en pierre de taille ;
– parquets et autres revêtements de sols en bois, moquettes et revêtements de sols en linoléum
y compris en caoutchouc ou en matières plastiques ;
– revêtements de sols et de murs en granito, en marbre, en granit ou en ardoise ;
– papiers peints.
45,44 Peinture et vitrerie
Cette classe comprend :
– la peinture intérieure et extérieure des bâtiments ;
– la teinture des ouvrages de génie civil ;
– la pose de vitres, de miroirs, etc.
45,45 Autres travaux de finition
Cette classe comprend :
– l’installation de piscines privées ;
– le nettoyage à la vapeur, le sablage et les activités analogues appliquées aux parties extérieures des bâtiments ;
– les autres travaux d’achèvement et de finition des bâtiments non classés ailleurs.
45,50 Location avec opérateur de matériel de construction
L’origine de cette liste est très ancienne puisqu’on la retrouve, certes dans une version allégée, dans la directive n°71/304/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971 « concernant la suppression des restrictions à la libre prestation de services dans le domaine des marchés publics de travaux et à l’attribution de marchés publics de travaux par l’intermédiaire d’agences ou de succursales », à ne pas confondre avec celle du même jour n°71/305/CEE du Conseil du 26 juillet 1971 relative aux marchés publics de travaux.
REMARQUE
La liste avait initialement pour fonction de dresser les activités pour lesquelles les Etat-membres devaient veiller à ce que les pouvoirs adjudicateurs n’imposent pas aux titulaires de marchés publics des conditions discriminatoires (liées à la nationalité) pour leur sous-traitants qui accomplissent l’une des activités visées dans cette liste. Elle n’avait donc pas pour objet de définir les marchés de travaux. Ce n’est qu’à partir de la directive 2004/18/CE qu’elle a eu cette fonction, intégrant l’article relatif à la définition des marchés publics de travaux (art. 1er.2, b) et étant, au passage, enrichie.
Même si ce n’est pas sa vocation, même actuellement, cette liste est utile pour s’assurer que l’on est bien en présence de travaux et non de fourniture ou de service. Par exemple, le déblayage des chantiers aurait pu être considérée comme un marché de service sans sa présence dans cette liste. La pose de papier peint aurait pu être considérée comme de la fourniture si le cout du papier excédait le cout de la main d’œuvre ou un marché de service en cas contraire, si l’on ne trouvait pas cet élément dans cette liste.
Ceci dit, l’intérêt de la liste est avant tout de permettre la qualification directe de travaux répondant à un besoin de l’acheteur : dès lors qu’un contrat émanant d’un acheteur public confie à un cocontractant la réalisation de tels travaux, il y a présomption que l’on est en présence d’un marché (ou d’une concession selon le mode de rémunération), ainsi qu’il résulte d’un avis du Conseil d’Etat du 22 janvier 2019, à condition que cela réponde à un besoin public.
DOCTRINE ADMINISTRATIVE
Conseil d’Etat, 22 janvier 2019, n° 396221, Avis relatif aux conditions de réalisation de passerelles innovantes sur la Seine : « Il ressort tout d’abord du cahier des charges que les passerelles envisagées, bien que destinées à plusieurs usages, ont vocation à être utilisées comme axe de déplacement et de franchissement de la Seine. La création de nouvelles voies et leur affectation à la circulation, y compris piétonne, relèvent de la satisfaction d’un besoin public. Les ponts figurent, en outre, sur la « liste des activités qui sont des travaux en droit de la commande publique » publiée au Journal officiel du 27 mars 2016 en application du 1° du I de l’article 5 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et du 1° du I de l’article 6 de l’ordonnance du 29 janvier 2016, pour lesquelles existe une forme de présomption de réponse à un besoin de la personne publique ».
On peut toutefois être surpris par deux éléments. En premier lieu, le Conseil d’Etat qualifie de « ponts » ce qui est annoncé comme étant des « passerelles ». Au sens strict, une passerelle est un moyen de franchissement piétonnier, selon le dictionnaire Larousse. Il est vrai que l’avis ne précise pas la nature du « franchissement » envisagé par les passerelles, de sorte que si des vélos pouvaient les emprunter, on serait bien en présence d’un pont ; en outre, la définition même des ponts semble inclure les passerelles, toujours selon le Larousse. En deuxième lieu, la référence au besoin « public » est inédite. On doit interpréter cette référence comme visant les besoins des personnes soumises au code de la commande publique, qu’elles soient d’ailleurs personnes publiques ou personnes privées au sens du droit interne. La mention de ce que les ponts figurent « en outre » sur la liste publiée le 27 mars 2016 semble signifier que le seul fait qu’un ouvrage soit sur cette liste aurait pu suffire pour déduire l’existence d’une commande publique. Or, la présomption évoquée est trompeuse : il n’y de contrat de la commande publique que si la construction est envisagée pour les besoins d’un acheteur ou d’une autorité concédante ; à l’inverse la construction d’un pont qui ne répondrait qu’aux besoins d’un opérateur économique, à l’image d’un occupant privatif d’une dépendance domaniale, ne permettrait pas de conclure à l’existence d’un contrat de la commande publique. L’idée de présomption est sans doute ici trompeuse.
Quoiqu’il en soit, à défaut d’être dans cette liste et de répondre aux besoins d’une personne soumise au code, il faut rechercher si les travaux envisagés répondent aux exigences fixées par l’acheteur.
4.1.2 – Travaux répondant aux exigences fixées par l’acheteur
Les marchés publics de travaux consistent donc aussi dans « soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par l’acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception. Un ouvrage est le résultat d’un ensemble de travaux de bâtiment ou de génie civil destiné à remplir par lui-même une fonction économique ou technique ».
Cette définition résulte de la directive 2014/24 qui la reprend directement de la jurisprudence européenne (CJUE 10 juillet 2014,C-213/13, Impresa Pizzarotti), formule au moins aussi large que celle de « besoins précisés » par l’acheteur, utilisée auparavant. Un auteur a pourtant pu y voir une restriction de la notion, ce qui n’est pas évident.
DOCTRINE
Sophie Nicinski, in Olivier Guézou (Dir.), Droit des marchés publics et contrats publics spéciaux, Le moniteur : « La notion de « besoins précisés par le pouvoir adjudicateur » cède la place à celle des « exigences fixées par le pouvoir adjudicateur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception ». La nouvelle formulation n’est qu’une retranscription partielle de la jurisprudence de la Cour. La notion d’exigences fixées par le pouvoir adjudicateur correspond à ce qui ressortait jusqu’alors de la jurisprudence. Mais l’idée que le pouvoir adjudicateur exerce une influence déterminante sur la nature de l’ouvrage ou sa conception vise probablement à restreindre les hypothèses de qualification de marché de travaux. N’y seront plus incluses les opérations dans lesquelles le pouvoir adjudicateur se borne à définir certaines exigences tout en n’exerçant aucune influence déterminante sur la nature ou la conception même de l’ouvrage. On pense ici particulièrement aux ventes avec charges ».
A notre sens, la nouvelle directive a entendu « codifier » la jurisprudence et non la réduire. On doit donc considérer que la jurisprudence antérieure de la CJUE reste d’actualité, même dans ses développements les plus étendus, d’autant plus que le droit interne fait toujours référence aux besoins de l’acheteur alors que la directive n’y fait pas allusion.
Ainsi il avait pu être jugé qu’il y a marché public de travaux pour une convention d’aménagement (sans risque car la ville s’engageait à racheter les invendus) par laquelle une ville cherche à redynamiser un quartier et cette jurisprudence nous paraît toujours pertinente.
JURISPRUDENCE
CJCE 18 janvier 2007, C-220/05, Auroux c/ Commune de Roanne : « la réalisation du pôle de loisirs doit être considérée comme répondant aux besoins précisés par la commune de Roanne dans la convention. Il convient de souligner que, à cet égard, l’ouvrage visé par la convention est le pôle de loisirs dans tous ses éléments, comprenant la construction d’un cinéma multiplexe, de locaux de services connexes aux loisirs, d’un parc de stationnement et, éventuellement, d’un hôtel. Il ressort de plusieurs dispositions de la convention que, par la réalisation du pôle de loisirs dans son ensemble, la commune de Roanne cherche à repositionner et à redynamiser le quartier de la gare ».
A cet égard, il n’y a pas lieu, en pareil cas, de rechercher si les travaux revêtent un caractère accessoire à l’objet principal du contrat qui serait tout autre : on ne se trouve pas dans un cas de contrats mixtes (qui font l’objet d’un dossier à part dans la présente encyclopédie). C’est également le cas dans la jurisprudence de la cour de justice Ordre des architectes de Milan et Lodi du 12 juillet 2001 précitée, ou encore de la jurisprudence du Conseil d’Etat Commune de Saint-Germain-en-Laye.
JURISPRUDENCE
CE 3 juin 2009, n° 311798, Commune de Saint-Germain-en-Laye : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la COMMUNE DE SAINT-GERMAIN-EN-LAYE a souhaité procéder à la réhabilitation de terrains, appartenant à la ville de Paris, situés dans la plaine d’Achères, en vue d’y développer des espaces paysagers ou forestiers, d’y créer un centre de recherche sur les technologies de l’eau et de l’assainissement et d’y installer un centre d’entraînement du club professionnel du Paris Saint-Germain ; que pour financer l’acquisition de ces terrains, ainsi que leur dépollution, la commune a souhaité en confier la charge à un opérateur moyennant le droit d’exploiter, sur une partie des terrains en cause, pendant une durée de quinze ans, un gisement de granulats compris dans le sous-sol, la ville percevant une rétribution au titre du droit de fortage en tenant compte des charges incombant à l’opérateur et du bénéfice qu’il est en droit d’attendre ; que la COMMUNE DE SAINT-GERMAIN-EN-LAYE a lancé en 2006 une consultation en vue du choix de l’opérateur ; que le cahier des charges établi par la commune prévoit notamment, s’agissant des terrains affectés au club du Paris Saint-Germain et qui ne seront pas exploités comme carrière, que l’opérateur prendra à sa charge leur dépollution et qu’à la fin des travaux de dépollution, les terrains devront être rendus à la même altimétrie et conformes à l’aménagement de terrains de sport ; que s’agissant des terrains exploités comme carrière, il dispose que l’opérateur devra apporter les garanties qu’il met en oeuvre une réhabilitation du site assurant durablement sa compatibilité avec le type d’activités prévues au PLU (…) et qu’au terme de leur exploitation, les terrains devront être recouverts de terre saine sur au moins deux mètres pour permettre un aménagement paysager de ces terrains, à la charge de l’opérateur et à l’issue de l’activité d’extraction (…) et que l’aménagement comportera une partie plantée en arbre de haute tige et d’essence forestière. Le reste sera aménagé en prairie (…). Considérant que le juge des référés n’a pas dénaturé les termes du cahier des charges ni commis d’erreur de droit au regard de la réglementation applicable en matière d’installations classées en jugeant que si le contrat envisagé concédait à l’exploitant le droit d’extraire les matériaux du sous-sol d’une partie des terrains concernés, en lui rappelant les obligations de remise en état incombant à l’exploitant d’une installation classée, il avait pour objet de répondre, par les travaux demandés au titulaire, à un besoin de la commune en matière de dépollution et d’aménagement des parcelles en cause ;
Considérant qu’ayant ainsi caractérisé l’objet du contrat, le juge des référés en a déduit, ainsi qu’il y était explicitement tenu dès lors que sa compétence pour connaître de la procédure était contestée, et sans soulever d’office un moyen, que ce contrat administratif devait être regardé comme un marché public de travaux au sens de l’article 1er de la directive 2004/18 du 31 mars 2004; que la circonstance que la commune n’assurerait pas la maîtrise d’ouvrage des travaux envisagés ne faisant pas obstacle à une telle qualification, le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit à cet égard ; qu’il a également pu, sans commettre d’erreur de droit, juger que la rémunération du titulaire du marché était en l’espèce assurée par l’exploitation de la carrière ; que le juge des référés n’a pas méconnu les dispositions précitées de l’article L. 551-1 du code de justice administrative en se reconnaissant compétent pour connaître de la demande dirigée contre la procédure de passation d’un tel contrat ; »
La qualification de marché peut surprendre, alors que la rémunération était liée à l’exploitation. Mais on était alors à une époque où le juge distinguait les marchés publics des délégations de service public ; or, en présence d’un contrat qui ne déléguait pas un service public, le juge avait tendance à étendre la catégorie des marchés publics. La situation a désormais changé (cf. notre dossier sur la notion de concession).
L’arrêt est également intéressant en ce qu’il démontre que la définition française, antérieure à 2015 et qui faisait référence à la notion de maîtrise d’ouvrage exercée par une personne publique, était inadaptée puisque cela conduisait à devoir appliquer le principe de transparence issu des traités européens et non le code des marchés publics pour de tels contrats sans maîtrise d’ouvrage publique mais répondant à un besoin d’un acheteur, avec l’incertitude du régime juridique qui en résulte : en l’espèce, le Conseil d’Etat dans cette même affaire approuve le juge de première instance d’avoir sanctionné l’absence d’indication des critères de choix des offres mais ne l’approuve pas d’exiger d’indiquer les motifs de rejet des offres.
La même incertitude concernait alors les baux emphytéotiques administratifs dits « aller-retours », qui n’impliquaient pas de maîtrise d’ouvrage publique tout en répondant aux besoins du pouvoir adjudicateur (et qui présentaient un intérêt transfrontalier certain ou étaient supérieurs aux seuils européens), pourtant autorisés par l’arrêt SOFAP Marignan immobilier précité. Cela illustrait, déjà, le risque de requalification en marché de travaux de contrats autrement dénommés. Il n’y a plus de risques pour les BEA dits allers retours puisque depuis l’ordonnance du 23 juillet 2015, il n’est plus permis d’en passer mais ce risque demeure pour d’autres contrats.
On peut estimer qu’il n’est pas besoin de rechercher l’existence d’un objet principal lorsque le contrat ne présente pas vraiment deux objets distincts. Ainsi en va-t-il d’une convention d’occupation du domaine public qui peut répondre, dans certains cas, à un besoin d’un acheteur ou d’une autorité concédante.
4.1.3 – Les risques de requalification en marchés de travaux
Ces risques découlent d’exemples donnés par la jurisprudence mais aussi du considérant 4 de la directive 2014/24/UE selon lequel « La notion d’acquisition devrait être entendue au sens large, en tant qu’obtention de la jouissance des travaux, fournitures ou services en question, ne nécessitant pas nécessairement de transfert de propriété aux pouvoirs adjudicateurs ».
Cette idée de jouissance des travaux est d’interprétation plus large que la notion de propriété ou même de possession, comme l’illustre l’exemple Auroux contre commune de Roanne précité : la qualification de marchés de travaux est admise alors même que la ville ne deviendra propriétaire qu’en cas d’invendus et qu’elle n’entrera même pas en possession des biens en dehors du cas des éventuels invendus. D’une certaine façon, elle n’en aura même qu’une jouissance virtuelle puisque les ouvrages en question lui permettront seulement de redynamiser un quartier.
La question est particulièrement délicate quand les contrats sont de plusieurs natures, en particulier lorsqu’ils associent un volet immobilier à un volet construction.
Deux auteurs ont théorisé et synthétisé la jurisprudence en pareil cas.
BIBLIOGRAPHIE
Etienne Fatôme, Laurent Richer, « Contrats à objet immobilier et de travaux : le critère de l’objet principal, critère second », AJDA 2015 p.1577
Selon eux, il faut d’abord vérifier si les deux objets sont inséparables. S’ils sont séparables, il faut alors les séparer et appliquer le régime de passation propre à chaque partie du contrat. S’ils ne sont pas séparables, il faut alors déterminer l’objet principal du contrat pour déterminer le régime applicable. L’ordonnance du 23 juillet 2015 a consacré ces deux critères dans ses articles 22 à 25 relatifs aux contrats mixtes, critères repris dans le code de la commande publique et qui font l’objet d’un dossier à part entière de cette encyclopédie. On se bornera à renvoyer à ce dossier, tout en indiquant que l’article de doctrine précité peut toujours servir de guide, sous la réserve qu’il faut aussi tenir compte d’une précision apportée par l’article 30-I-3°-b du décret du 25 mars 2016 à propos des cas de marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence qui sera examinée ci-après.
● Les locations ou les achats d’ouvrages à construire
Ont notamment illustré cette catégorie les baux emphytéotiques administratifs (BEA) dits aller-retours, par lesquels la collectivité locale louait par BEA un terrain sur lequel le preneur s’engageait à construire un immeuble qui était ensuite loué à la personne publique en tout ou partie, et qui ont été interdits par l’ordonnance du 23 juillet 2015 qui a modifié l’article 1311-2 du CGCT sur ce point.
TEXTE OFFICIEL
Article 1311-2, alinéa 3, à propos du bail emphytéotique administratif : « Un tel bail ne peut avoir pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures, la prestation de services, ou la gestion d’une mission de service public, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, pour le compte ou pour les besoins d’un acheteur ou d’une autorité concédante soumis au code de la commande publique ».
Mais l’on ne saurait exclure que d’autres montages contractuels aboutissent au même résultat, c’est-à-dire à la signature d’un contrat de location ou d’acquisition d’un ouvrage non encore construit.
On peut dire qu’il y aura alors un risque que ce contrat soit considéré comme un marché de travaux sauf dans certaines circonstances, c’est-à-dire en cas d’inséparabilité et d’objet accessoire des travaux répondants aux besoins de l’acheteur.
Ces deux critères sont régulièrement mis en œuvre par la Cour de justice.
Dans un arrêt du 29 octobre 2009, Commission c/Allemagne, la Cour de justice conclut à la présence d’un marché de travaux pour un contrat qualifié de contrat de location mais qui comportait aussi un volet « construction ».
JURISPRUDENCE
CJUE 29 octobre 2009, C-536/07, Commission c/ Allemagne (AJDA 2010. 248, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; RDI 2010. 149, obs. S. Braconnier) : « 56 Pour ce qui est de l’objet de l’opération en cause, il convient de relever que le contrat principal, conclu le 6 août 2004 entre la ville de Cologne et GKM‑GbR, est formellement qualifié de «contrat de location» et qu’il contient effectivement des éléments relevant d’un contrat de location. Toutefois, force est de constater que, à cette date, la construction des ouvrages en question n’avait même pas été entamée. Par conséquent, ce contrat ne pouvait pas avoir comme objectif immédiat la location d’immeubles dont la construction n’avait pas encore commencé. Ainsi, l’objectif prioritaire de ce contrat ne pouvait logiquement être que la construction desdits ouvrages, qui devraient par la suite être mis à la disposition de la ville de Cologne par le biais d’une relation contractuelle qualifiée de «contrat de location».
57 Or, conformément à la jurisprudence de la Cour, lorsqu’un contrat contient à la fois des éléments ayant trait à un marché public de travaux ainsi que des éléments ayant trait à un autre type de marché, c’est l’objet principal du contrat qui détermine les règles communautaires applicables.
58 Il convient de constater en outre que les ouvrages concernés ont été réalisés conformément aux spécifications très détaillées explicitées par la ville de Cologne dans le contrat principal. Il ressort de ce contrat et de ses annexes que lesdites spécifications, qui se rapportent à un descriptif précis des bâtiments à construire, de leur qualité et de leurs équipements, vont bien au‑delà des exigences habituelles d’un locataire à l’égard d’un nouvel immeuble d’une certaine envergure.
59 Dès lors, force est de conclure que le contrat principal avait comme objectif primaire l’édification des halls d’exposition en question conformément aux besoins précisés par la ville de Cologne ».
Il y a, en quelque sorte, en présence d’un contrat ayant un volet immobilier et un volet construction, présomption que l’objet principal sera la construction, ne serait-ce que pour éviter les contournements des règles de passation.
Pour autant, le caractère « attractif » du volet construction n’exclut pas qu’il puisse revêtir un caractère accessoire et donc échapper aux règles de passation, pour autant qu’il y ait bien inséparabilité des différents volets. C’est ce qui a été admis dans une affaire comportant privatisation partielle d’une société publique gérant un casino au profit d’une société à qui était confiée la charge de nouveaux travaux.
JURISPRUDENCE
CJUE 6 mai 2010, C‑145/08, Loutraki : « 47 En effet, celui-ci est constitué, en substance, d’une convention portant sur la cession par ETA de 49 % des actions d’EKP à l’AEAS (ci-après le «volet ‘vente d’actions’»), d’une convention aux termes de laquelle l’AEAS assume la gestion de l’entreprise de casino moyennant rémunération (ci-après le «volet ‘services’»), et d’une convention en vertu de laquelle l’AEAS s’engage à mettre en œuvre un plan d’amélioration des locaux du casino et des unités hôtelières contiguës ainsi que d’aménagement de l’espace environnant (ci-après le «volet ‘travaux’»).
(…)52 Il ressort du dossier, en particulier des conditions de l’avis supplémentaire publié au mois d’avril 2002, que le contrat mixte en cause au principal se présente comme un contrat unique portant conjointement sur la cession d’actions d’EKP, l’acquisition du droit de désigner la majorité des membres du conseil d’administration d’EKP, l’obligation d’assumer la gestion de l’entreprise de casino et d’offrir des services de haut niveau, financièrement rentables, ainsi que l’obligation d’effectuer des travaux d’aménagement et d’amélioration des lieux concernés ainsi que des terrains avoisinants.
53 Ces constatations traduisent la nécessité de conclure ledit contrat mixte avec un partenaire unique disposant à la fois de la capacité financière nécessaire à l’achat des actions en cause et d’une expérience professionnelle en matière d’exploitation d’un casino.
54 Il s’ensuit que les différents volets de ce contrat doivent être compris comme formant un tout indivisible.
55 En second lieu, il ressort des constatations opérées par la juridiction de renvoi que l’objet principal du contrat mixte était la vente, au mieux-disant, de 49 % des actions d’EKP et que le volet «travaux» de cette transaction ainsi que le volet «services», indépendamment de la question de savoir si ce dernier constitue un marché public de services ou une concession de services, avaient un caractère accessoire par rapport à l’objet principal du contrat. La juridiction de renvoi a également signalé que le volet «travaux» avait un caractère tout à fait accessoire par rapport au volet «services».
56 Cette appréciation est confirmée par les éléments du dossier soumis à la Cour.
57 En effet, il ne peut y avoir de doute que, en cas d’achat de 49 % des actions d’une entreprise publique telle qu’EKP, cette opération constitue l’objet principal du contrat. Il doit être relevé que le revenu que l’AEAS tirerait en tant qu’actionnaire paraît nettement plus important que la rémunération qu’elle obtiendrait en tant que prestataire de services. En outre, l’AEAS tirerait ces revenus sans limitation dans le temps, alors que l’activité de gestion viendrait à échéance au bout de dix ans.
58 Il résulte des considérations qui précèdent que les différents volets du contrat mixte en cause au principal forment un tout indivisible, dont le volet relatif à la cession d’actions constitue l’objet principal ».
Cette affaire n’est pas sans rappeler celle à l’origine de l’introduction du critère de l’objet principal, relatif également à un casino, même s’il est revenu au juge national d’apprécier ce critère (CJCE, 19 avr. 1994, C-331/92, Gestión Hotelera Internacional : « Il résulte de cette analyse que l’objet principal de l’adjudication consistait, d’une part, à installer et à ouvrir un casino et, d’autre part, à exploiter une entreprise hôtelière. Il est constant que ces marchés considérés en tant que tels ne relèvent pas du champ d’application de la directive 71/305 »).
En revanche, il y a séparabilité dans le cas d’une société à créer, à égalité de parts entre un acheteur et une entreprise, et dont les futurs actionnaires s’engagent à acquérir les services (CJUE 22 décembre 2010, C-215/09, Mehiläinen Oy, AJDA 2011. 264, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; RTD eur. 2011. 437, obs. A.-L. Durviaux). En conséquence, il fallait appliquer la mise en concurrence pour les travaux envisagés.
On peut envisager d’autres hypothèses, étant entendu qu’elles supposent toutes que l’immeuble n’est pas déjà existant car, en ce cas, l’acquisition se fait sans mise en concurrence mais tous les travaux permettant d’adapter aux besoins seront des marchés publics, quand bien même le propriétaire de l’ensemble connait bien l’immeuble et serait en mesure de réaliser les travaux à moindre cout (sur ce point, voir l’article des professeurs Fatôme et Richer précité).
Si les différents volets ne sont pas séparables, un critère permettant de savoir si l’objet principal est la réalisation de travaux pour les besoins de l’acheteur tient au fait de savoir si la construction est « entamée ». Ceci résulte de la jurisprudence dite Comune di Bari.
JURISPRUDENCE
CJUE 10 juillet 2014, C-213/13, Impresa Pizzarotti & C. SpA c/ Comune di Bari : « Dans l’affaire au principal, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, au moment où le Comune di Bari s’est vu proposer par Pizzarotti la conclusion du contrat en cause, la réalisation de l’ouvrage concerné par ce contrat n’avait pas encore été entamée. Dans ces circonstances, il convient de considérer que l’objet principal dudit contrat réside dans cette réalisation, que présuppose, en effet, nécessairement la mise en location ultérieure de cet ouvrage (voir, en ce sens, arrêt Commission/Allemagne, EU:C:2009:664, point 56) ».
Selon les professeurs Fatôme et Richer, la construction « entamée » ne vise pas seulement le début des travaux mais toute opération qui est lancée par une entreprise privée, par exemple du fait de l’obtention d’un permis de construire. Néanmoins, dans ce cas, encore faut-il justifier le fait que la localisation du bien à construire répond particulièrement aux besoins.
DOCTRINE
Etienne Fatôme, Laurent Richer, « Contrats à objet immobilier et de travaux : le critère de l’objet principal, critère second », AJDA 2015 p.1577 : « A s’en tenir aux conclusions de l’avocat général Wahl, nous l’avons vu, la caractéristique d’« unicité » (« uniqueness ») qui justifie l’exclusion des marchés de services immobiliers fait défaut lorsque l’ouvrage est à construire, puisqu’il n’existe pas encore et pourrait donc être édifié ailleurs, après mise en concurrence. Cette justification conduit logiquement à admettre que la construction peut être considérée comme « entamée » avant qu’ait commencé la réalisation matérielle de l’ouvrage. En effet, l’« unicité » est liée non à ce commencement mais à la localisation et aux caractéristiques de l’immeuble, lesquelles sont fixées quand le projet est arrêté, ce qui est le cas, notamment, à partir de la délivrance du permis de construire et du début de la commercialisation, dès lors que le projet ne fait pas ensuite l’objet de modifications qui remettent en cause son économie ».
● Les ventes en l’état futur d’achèvement
Est visé ici ce que le code civil appelle la vente en l’état futur d’achèvement. Selon l’article 1601-3 du code civil, « La vente en l’état futur d’achèvement est le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. Les ouvrages à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution ; l’acquéreur est tenu d’en payer le prix à mesure de l’avancement des travaux. Le vendeur conserve les pouvoirs de maître de l’ouvrage jusqu’à la réception des travaux ».
Côté personne publique, cela veut dire qu’il y aura acquisition en l’état futur d’achèvement.
Or on sait que le code de la commande publique ne s’applique pas à l’acquisition de biens immobiliers mais cette exclusion ne vaut implicitement que pour les biens existants puisqu’il serait incohérent de mettre en concurrence des biens immobiliers existants qui présentent des caractéristiques bien distinctes. Par principe donc, on ne peut considérer que l’acquisition en l’état futur d’achèvement entre dans l’exception de la mise en concurrence.
La difficulté de la VEFA du code civil, au regard du droit de la commande publique, tient en effet encore à sa double nature : en tant qu’elle concerne l’achat d’un terrain, il n’y a pas soumission aux règles de publicité et de mise en concurrence mais en tant qu’elle concerne aussi une construction future sur ce terrain, elle peut tomber sous le coup de la qualification de marché de travaux.
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a admis la légalité du recours à la VEFA par les personnes publiques sauf exception. L’exception, c’est-à-dire l’illégalité du recours à la VEFA, n’advenait que si trois conditions cumulatives étaient réunies : l’objet de l’opération est la construction même pour le compte de la collectivité d’un immeuble, entièrement destiné à devenir sa propriété et conçu en fonction de ses besoins propres, ce qui était le cas de la construction d’un hôtel de Région (CE Sect. 8 février 1991, n° 57679, Région Midi-Pyrénées, au recueil). La construction « pour le compte » d’une personne publique n’étant pas d’une parfaite limpidité, on s’en remettait surtout à la présence des deux autres conditions. Mais il suffisait que l’une fasse défaut pour que la VEFA soit possible et donc la mise en concurrence exclue.
Cette jurisprudence paraît de notre jour largement obsolète compte tenu de ce qui a été dit plus haut sur la prévalence du seul critère de « l’influence déterminante sur la nature ou la conception de l’ouvrage ». On pourrait même considérer que ce critère est à peu près équivalent à la deuxième condition de la jurisprudence Région Midi-Pyrénées (conçu en fonction de ses besoins propres) mais en tout état de cause, on sait que la première – peu claire – et la troisième – la propriété future mais certaine – ne sont pas des critères de la définition du marché de travaux au sens européen.
Du reste, les auteurs s’accordent à dire que la VEFA n’est plus autorisée que dans des conditions très strictes et même que le seul moyen d’y recourir est d’entrer dans un des cas, prévu initialement par le décret du 25 mars 2016 et désormais par le CCP à l’article R. 2122-3, de marchés sans publicité ni mise en concurrence.
TEXTE OFFICIEL
Article R. 2122-3 du CCP : « L’acheteur peut passer un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour l’une des raisons suivantes : 1° Le marché public a pour objet la création ou l’acquisition d’une œuvre d’art ou d’une performance artistique unique ; 2° Des raisons techniques. Tel est notamment le cas lors de l’acquisition ou de la location d’une partie minoritaire et indissociable d’un immeuble à construire assortie de travaux répondant aux besoins de l’acheteur qui ne peuvent être réalisés par un autre opérateur économique que celui en charge des travaux de réalisation de la partie principale de l’immeuble à construire ; 3° La protection de droits d’exclusivité, notamment de droits de propriété intellectuelle. Les raisons mentionnées aux 2° et 3° ne s’appliquent que lorsqu’il n’existe aucune solution alternative ou de remplacement raisonnable et que l’absence de concurrence ne résulte pas d’une restriction artificielle des caractéristiques du marché public ».
Ce qui suit la mention « des raisons techniques » est un ajout non prévu par les directives, ajout que l’on peut qualifier de « politique », avec un risque d’incompatibilité avec le droit de l’union européenne. On ne peut toutefois exclure que dans une telle situation, la Cour de justice ne suive le législateur français et estime qu’il y a bien en effet un motif technique à ne pas procéder à une publicité et à une mise en concurrence. Il s’agit en effet ici de faire profiter la personne publique de ce que l’on appelle couramment une opportunité de marché.
Sur cette hypothèse, voir le dossier sur les procédures sans publicité ni mise en concurrence et l’article ci-dessous.
BIBLIOGRAPHIE
Etienne Fatôme, Michele Raunet, Laurent Richer, « Le marché pour la réalisation et l’acquisition ou la location d’un ouvrage dans une partie minoritaire et indissociable d’un immeuble à construire – . – Nouveaux propos sur l’article 30-I-3°-b du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics », Contrats et Marchés publics n° 7, Juillet 2017, étude 7
Il reste que la jurisprudence illustre toujours des cas de recours à la VEFA quand il s’agit d’une opportunité de marché. Ainsi, une commune n’a exercé aucune influence déterminante sur sa nature ou la conception de l’ensemble immobilier dans le cadre d’un projet de VEFA, lequel n’a été conçu ni à son initiative, ni en fonction de ses besoins, de sorte que l’opération en cause ne peut être qualifiée de marché public de travaux. En effet, le promoteur a déposé une demande de permis de construire, lequel lui a été accordé 6 mois plus tard et que ce n’est que presque 4 mois après cet octroi de permis que la collectivité publique a envisagé l’achat de bureaux dans le cadre de ce programme de VEFA. En outre, l’ensemble immobilier, qui permet des aménagements de bureaux et de décloisonnement, ne comporte pas de caractéristiques particulières qui auraient eu pour objet de répondre aux besoins de la collectivité publique qui a, au demeurant, procédé ultérieurement à des aménagements spécifiques en recourant à des procédures de passation de marchés (CAA Nancy, n° 19NC02073, M. Lebeau).
● Les ventes de biens immobiliers publics avec charges
Les ventes de biens immobiliers des personnes publique comme des personnes privées ne sont pas généralement soumises à des obligations de publicité et de mise en concurrence, sauf pour les biens immobiliers de l’Etat et encore avec des exceptions (article R. 3211-2 et suivants du CGPPP).
En tout état de cause, par principe, il n’y a pas contrat de commande publique puisque que la personne publique (ou sous influence publique) n’est pas en situation d’acheteur mais bien de vendeur.
Néanmoins, elle peut se retrouver face à un risque de requalification en marché de travaux si elle entend bénéficier des travaux que l’acquéreur pourra faire une fois le bien acquis par lui. Encore ce risque n’est-il pas toujours caractérisé compte tenu de l’inséparabilité et du caractère accessoire de la part de travaux. Ainsi en va-t-il si elle entend, par exemple, acheter des places du parking que l’acquéreur entend construire. Mais il faut alors justifier de la nécessité de cette acquisition-là, en particulier à cet endroit-là.
DOCTRINE
Etienne Fatome, Michèle Raunet, Laurent Richer, « Le marché pour la réalisation et l’acquisition ou la location d’un ouvrage dans une partie minoritaire et indissociable d’un immeuble à construire – . – Nouveaux propos sur l’article 30-I-3°-b du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics », Contrats et Marchés publics n° 7, Juillet 2017, étude 7 : « Il se peut, tout d’abord, que la collectivité soit intéressée par un élément du projet de l’opérateur et que, de ce fait, le contrat de vente ou de location du terrain prévoie qu’une partie de l’ouvrage lui sera cédée ou louée en l’état futur d’achèvement sans que la personne publique n’impose aucune spécification. Pour prendre un exemple, l’acquéreur du terrain ayant prévu de réaliser un immeuble qui comporte en sous-sol un parking, la personne publique profite de l’occasion pour acheter des places dans ce parking. En ce cas, il n’existe pas d’inséparabilité entre la vente ou la location du terrain et l’acquisition ou la location en l’état futur d’achèvement des places de parking, puisque la personne publique ne fait que saisir une opportunité et que cette acquisition ne conditionne pas la possibilité de vendre ou de louer le terrain ; on est donc en présence de deux contrats qui doivent être conclus chacun selon les règles qui lui sont propres. Le volet du contrat qui porte sur les places de parking n’a pas le caractère d’un contrat de travaux ni a fortiori de marché de travaux puisque les places de parking sont offertes à la vente ou à la location par l’opérateur, ce dont il résulte que le contrat d’acquisition ou de location de ces places de parking est, lui aussi, un contrat immobilier qui peut être passé sans mise en concurrence, comme la vente. Il peut arriver, ensuite, que la personne publique ne puisse, pour des motifs d’intérêt général, vendre ou louer un terrain en vue de sa valorisation qu’à la condition que le cocontractant réalise à l’intérieur(8) de l’immeuble ou des immeubles pour la construction desquels il veut acquérir ou louer le terrain un ouvrage d’intérêt général (places de stationnement, crèche,…), dont la personne publique détermine les caractéristiques et que, par voie de conséquence, le contrat de vente ou de location du terrain comporte l’engagement de céder ou de louer cet ouvrage à la personne publique. En présence de justifications solides et incontestables de la nécessité de l’ouvrage à cet endroit, et dès lors que la vente ou la location du terrain apparaît pleinement justifiée, dans cette hypothèse, on peut penser que l’inséparabilité existe puisque sans la réalisation de l’ouvrage, la vente ou la location du terrain aurait des conséquences contraires à l’intérêt général. Or, si on admet que l’inséparabilité existe, le critère de l’objet principal est applicable et, puisque les travaux ne sont commandés par la personne publique que pour permettre la vente ou la location, il n’est pas douteux qu’un contrat de ce type a pour but principal la cession ou la location d’un terrain en vue d’en assurer la valorisation. C’est donc cette vente ou cette location qui constitue l’objet principal et, par conséquent, le contrat de vente ou de location avec son « volet travaux » peut être conclu sans procédure préalable (sauf pour les ventes de l’Etat) ».
En revanche, si la personne publique vend un terrain en vue de faire réaliser une opération dont elle a défini les objectifs et spécifications, il y aura un risque de requalification en marché de travaux. C’est ce qui résulte de l’arrêt Helmut Muller.
JURISPRUDENCE
CJUE 25 mars 2010, C-451/08, Helmut Muller : « Il y a lieu de préciser d’emblée que la vente à une entreprise, par une autorité publique, d’un terrain nu ou comprenant des bâtiments déjà construits ne constitue pas un marché public de travaux au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18. En effet, d’une part, dans le cadre d’un tel marché, l’autorité publique doit assumer la position d’acquéreur et non de vendeur. D’autre part, l’objet d’un tel marché doit consister dans l’exécution de travaux.
(…) 48 Le caractère onéreux du contrat implique que le pouvoir adjudicateur ayant conclu un marché public de travaux reçoive en vertu de celui-ci une prestation moyennant une contrepartie. Cette prestation consiste dans la réalisation des travaux que le pouvoir adjudicateur vise à obtenir (voir arrêts du 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti e.a., C‑399/98, Rec. p. I‑5409, point 77, ainsi que du 18 janvier 2007, Auroux e.a., C‑220/05, Rec. p. I‑385, point 45).
49 Une telle prestation, en raison de sa nature ainsi que du système et des objectifs de la directive 2004/18, doit comporter un intérêt économique direct pour le pouvoir adjudicateur.
50 Cet intérêt économique est clairement établi lorsqu’il est prévu que le pouvoir adjudicateur deviendra propriétaire des travaux ou de l’ouvrage faisant l’objet du marché.
51 Un tel intérêt économique peut être également constaté s’il est prévu que le pouvoir adjudicateur disposera d’un titre juridique qui lui assurera la disponibilité des ouvrages faisant l’objet du marché, en vue de leur affectation publique (voir, en ce sens, arrêt Ordine degli Architetti e.a., précité, points 67, 71 et 77).
52 L’intérêt économique peut encore résider dans les avantages économiques que le pouvoir adjudicateur pourra tirer de l’utilisation ou de la cession futures de l’ouvrage, dans le fait qu’il a participé financièrement à la réalisation de l’ouvrage ou dans les risques qu’il assume en cas d’échec économique de l’ouvrage (voir, en ce sens, arrêt Auroux e.a., précité, points 13, 17, 18 et 45).
53 La Cour a déjà jugé qu’une convention par laquelle un premier pouvoir adjudicateur confie à un second pouvoir adjudicateur la réalisation d’un ouvrage peut constituer un marché public de travaux, indépendamment du fait qu’il est prévu ou non que le premier pouvoir adjudicateur soit ou devienne propriétaire de tout ou partie de cet ouvrage (arrêt Auroux e.a., précité, point 47).
54 Il résulte de ce qui précède que la notion de «marchés publics de travaux», au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18, impose que les travaux faisant l’objet du marché soient exécutés dans l’intérêt économique direct du pouvoir adjudicateur, sans que, toutefois, il soit nécessaire que la prestation prenne la forme de l’acquisition d’un objet matériel ou physique.
55 La question se pose de savoir si ces conditions sont remplies lorsque les travaux envisagés visent à satisfaire un objectif public d’intérêt général dont il incombe au pouvoir adjudicateur d’assurer le respect, tel que le développement ou la cohérence urbanistique d’une partie d’une commune.
56 Dans les États membres de l’Union européenne, l’exécution de travaux de construction, à tout le moins lorsque ceux-ci ont une certaine envergure, doit normalement faire l’objet d’une autorisation préalable de l’autorité publique compétente en matière d’urbanisme. Cette autorité est appelée à apprécier, dans l’exercice de ses compétences de régulation, si l’exécution des travaux est conforme à l’intérêt public.
57 Or, le simple exercice de compétences de régulation en matière d’urbanisme, visant à la réalisation de l’intérêt général, n’a pas pour objet la réception d’une prestation contractuelle ni la satisfaction de l’intérêt économique direct du pouvoir adjudicateur, ainsi que l’exige l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 2004/18.
58 Par conséquent, il convient de répondre aux première et deuxième questions que la notion de «marchés publics de travaux», au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18, n’exige pas que les travaux faisant l’objet du marché soient exécutés matériellement ou physiquement pour le pouvoir adjudicateur, dès lors que ces travaux sont exécutés dans l’intérêt économique direct de ce pouvoir. L’exercice par ce dernier de compétences de régulation en matière d’urbanisme ne suffit pas pour remplir cette dernière condition ».
Les juridictions administratives ont fait application de cette jurisprudence, soit pour dénier l’existence d’un marché public, soit au contraire pour requalifier en marché de travaux un contrat de vente assorti de charges.
JURISPRUDENCE
CAA Marseille, 25 février 2010, n° 07MA03620, Commune de Rognes, AJDA 2010, p. 1200, concl. F. Dieu (arrêt non disponible sur legifrance) : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’objet principal du contrat que la COMMUNE DE ROGNES se proposait de conclure était de confier à un opérateur économique l’exécution de travaux de construction de maisons d’habitation individuelles destinées à être revendues à des tiers, et non la simple cession de parcelles du domaine privé ; que la nature et les caractéristiques des ouvrages à réaliser avaient été définies de manière précise et détaillée par la COMMUNE DE ROGNES dans le dossier de consultation ; que l’opération ainsi envisagée, qui visait à promouvoir la construction de logements individuels de qualité et à favoriser l’accession à la propriété des habitants de la commune, répondait au besoin exprimé par la collectivité de maintenir et de développer son offre et son attractivité immobilières ; qu’ainsi le projet en cause constituait un projet d’intérêt communal de mise en œuvre d’une politique locale de l’habitat ; que, dans ces conditions, la conclusion du contrat en cause était soumise au respect des obligations minimales de publicité et de transparence propres à assurer l’égalité d’accès des candidats ».
CAA Bordeaux 18 juillet 2016, n°15BX00192, Société Lory : « 6. Si la cession de la parcelle AD 502 a été accordée à celui des candidats acquéreurs ayant présenté le projet d’aménagement dont le conseil municipal a considéré qu’il correspondait le mieux aux orientations qu’il avait fixées, l’opération litigieuse, eu égard au caractère très général de ces orientations et du projet d’aménagement présenté, ne peut être regardée comme ayant principalement pour objet de confier à l’acquéreur la conception ou la réalisation de travaux qui répondraient à un besoin d’intérêt général préalablement défini par la collectivité, qui à ce titre aurait été assujettie aux obligations de publicité et de mise en concurrence résultant des principes généraux du droit de la commande publique ou aux procédures du marché public ou de la concession d’aménagement ».
CAA Paris, 17 janv. 2020, n° 19PA01355 : « 2. Sauf si la loi en dispose autrement, les contrats conclus entre personnes privées sont en principe des contrats de droit privé, hormis le cas où l’une des parties agit pour le compte d’une personne publique ou celui dans lequel ils constituent l’accessoire d’un contrat de droit public. 3. Les contrats de vente immobilière du 28 juin 2018 dont la société Beaumont Goodwill demande l’annulation, et dont elle ne soutient pas qu’ils seraient administratifs par détermination de la loi, ont été conclus entre deux personnes morales de droit privé. Elle soutient qu’ils relèvent d’un marché de droit public dès lors que la société Renault, par l’intermédiaire de sa filiale SIMCRA, a agi dans le cadre de l’appel à projets » Réinventer Paris II – Les Dessous de Paris » dont la ville de Paris est l’initiatrice et la conceptrice et qui définit des prestations visant à satisfaire un besoin individualisé de la personne publique pour le compte de laquelle ces contrats ont été passés. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le règlement de l’appel à projets précise en son article A.2.1 intitulé » Transférer des droits immobiliers en vue de la réalisation des projets « , que : » Les projets de » Réinventer Paris-Les dessous de Paris » ne répondent pas à un besoin spécifique des partenaires mais relèvent de l’initiative de leurs porteurs et répondent à leurs propres besoins. Par conséquent, le présent appel à projet ne s’inscrit pas dans le champ de la commande publique. Les partenaires n’ont aucunement vocation à se voir rétrocéder une partie du bien, à en assumer la gestion en tout ou partie ou encore à apporter un financement spécifique au projet ; (…) « . Il ressort également des pièces du dossier que si la société Renault est un des partenaires désignés par la ville de Paris dans ce document, elle a, par l’intermédiaire de la SIMCRA, lancé sa propre procédure d’appel à projets, élaboré son propre règlement de consultation qui précise en son article 2.3 que le règlement de » Réinventer Paris II – Les Dessous de Paris » n’est fourni qu’ » à titre indicatif seulement » afin de connaître » les attentes de la ville de Paris en matière de renouvellement urbain » et que » les conditions du règlement relatives à la cession de biens publics ne sont pas applicables au cas particulier « . Il n’est ni établi ni même allégué que le produit de la vente ou que les travaux envisagés par le lauréat sur les biens immobiliers cédés par la SIMCRA auraient vocation à revenir à la ville de Paris. Ainsi, la seule circonstance que ces ventes soient intervenues dans le cadre de l’appel à projets de la ville de Paris et réponde aux objectifs d’intérêt général définis par cette dernière tant en termes architecturaux, sociaux, qu’environnementaux pour la sélection des projets, ne suffit pas à les faire regarder comme répondant aux seuls besoins du pouvoir adjudicateur, au sens du code des marchés publics, ou intervenant dans son intérêt économique direct ».
Il résulte de ces jurisprudences que la requalification d’une vente avec charge dépend du degré de précisions relatif aux constructions à venir. On peut toutefois s’interroger sur l’excès de zèle dont la Cour administrative d’appel de Marseille a pu faire preuve. On pouvait peut-être y voir, comme l’envisageait la cour de justice de l’arrêt Helmut Muller, la simple poursuite d’un objectif public d’intérêt général, tel que le développement ou la cohérence urbanistique d’une partie d’une commune. Tout peut dépendre en réalité de la source de l’objectif : s’il s’agissait de répondre à des objectifs urbanistiques, on pouvait pencher dans le sens d’une absence de commande publique, en revanche, s’il s’agissait de répondre à des objectifs non présents dans les documents d’urbanisme mais définis ailleurs, il y avait bel et bien risque d’y voir une commande publique.
On peut aussi s’interroger sur la pertinence de la référence à un objet principal en ce cas : autant celle-ci s’impose lorsqu’il y a deux objets matériels dans un contrat, autant lorsque le contrat porte à la fois sur un objet immobilier – comme une vente ou une location – et un objet matériel – comme la réalisation de travaux, le critère de l’objet principal n’est pas des plus adaptés. De fait, la jurisprudence Helmut Muller précitée n’y fait pas allusion, pas plus que celle relative aux conventions d’occupation domaniale.
● Les conventions d’occupation domaniale
Même si le risque de requalification concerne surtout ici celui de concessions (cf. notre dossier sur la notion de concession), il peut arriver qu’une convention domaniale soit requalifiée en marché de travaux, comme on l’a vu pour les baux emphytéotiques administratifs dit aller-retour. L’avis du Conseil d’Etat de 2019 précité l’envisage, du moins conclut-il à l’existence d’un contrat de la commande publique dans le cas d’une convention domaniale, sans pouvoir préciser s’il s’agit d’un marché ou d’une concession, faute d’information suffisante quant au mode de rémunération. A cet égard, le Conseil d’Etat ne s’appuie pas sur le seul fait que les ponts figurent sur la liste des activités qui sont des travaux en droit de la commande publique ni sur le fait que les ponts répondent à un besoin public comme cela a été dit plus haut. Il estime qu’« en tout état de cause », les personnes publiques ayant lancé l’appel à manifestation d’intérêt ont « exercé une influence déterminante sur la nature ou la conception de l’ouvrage (…) puisque le cahier des charges de l’appel à projets précise le programme attendu des candidats pour chaque site ».
DOCTRINE ADMINISTRATIVE
Conseil d’Etat, 22 janvier 2019, n° 396221, Avis relatif aux conditions de réalisation de passerelles innovantes sur la Seine : « Il ressort tout d’abord du cahier des charges que les passerelles envisagées, bien que destinées à plusieurs usages, ont vocation à être utilisées comme axe de déplacement et de franchissement de la Seine. La création de nouvelles voies et leur affectation à la circulation, y compris piétonne, relèvent de la satisfaction d’un besoin public. Les ponts figurent, en outre, sur la « liste des activités qui sont des travaux en droit de la commande publique » publiée au Journal officiel du 27 mars 2016 en application du 1° du I de l’article 5 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et du 1° du I de l’article 6 de l’ordonnance du 29 janvier 2016, pour lesquelles existe une forme de présomption de réponse à un besoin de la personne publique. En effet, lorsqu’un pouvoir adjudicateur confie la conception et la réalisation d’un pont à un opérateur économique, il n’est pas nécessaire de vérifier, comme le prévoit le 2° de ces dispositions pour les ouvrages ne figurant pas sur la liste, que ce dernier a fixé des exigences et exercé une influence déterminante sur la nature ou la conception de l’ouvrage. En tout état de cause, tel semble être le cas des passerelles sur la Seine puisque le cahier des charges de l’appel à projets précise le programme attendu des candidats pour chaque site, en distinguant selon les zones (« au-dessus du fleuve », « sur les emprises des quais hauts »), et leur impose des prescriptions techniques découlant, pour certaines, des règles d’urbanisme et de sécurité, mais tenant également, pour d’autres, au maintien des activités économiques ou industrielles existantes pour lesquelles PAP a délivré des titres d’occupation. Sans être extrêmement précis, les « dix défis à relever » à teneur écologique qui figurent dans le règlement de la manifestation d’intérêt constituent également des éléments complémentaires de cadrage du besoin des personnes publiques associées au projet. Compte tenu des missions respectives de ces personnes publiques, ce contrat répondrait au moins aux besoins de la Ville de Paris ».
4.1.4 – Cas particulier des concessions d’aménagement et des contrats de revitalisation artisanale et commerciale
Les textes évoquent deux types de contrats qui sont susceptibles d’être des concessions ou des marchés selon le mode de rémunération mais qui répondent donc à un besoin d’un acheteur ou d’une autorité concédante.
● Les concessions d’aménagement
L’article L. 300-1, alinéas 1 et 2 du code de l’urbanisme définit l’aménagement de la manière suivante : « Les actions ou opérations d’aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l’habitat, d’organiser le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d’enseignement supérieur, de lutter contre l’insalubrité et l’habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels.
L’aménagement, au sens du présent livre, désigne l’ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d’une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l’alinéa précédent et, d’autre part, à assurer l’harmonisation de ces actions ou de ces opérations ».
L’article L. 300-4 du code de l’urbanisme dispose que « L’Etat et les collectivités territoriales, ainsi que leurs établissements publics, peuvent concéder la réalisation des opérations d’aménagement prévues par le présent code à toute personne y ayant vocation ».
La passation des concessions et conventions d’aménagement a fait l’objet de nombreux débats. Au moment de l’adoption de la loi Sapin du 29 janvier 1993, un doute est né quant au fait de savoir s’il s’agissait de délégation de service public ou non. Afin de lever tout doute, elles ont été exclues du champ d’application de cette loi par l’article 5 de la loi n°94-112 du 9 février 1994, cantonnant implicitement ces contrats aux seules règles de publicité résultant de la loi du 3 janvier 1991 et encore seulement pour les contrats supérieurs aux seuils européens.
Puis le législateur a adopté la loi n° 2005-809 du 20 juillet 2005 et son décret d’application prévoyant un régime de passation spécifique aux concessions d’aménagement. Enfin l’ordonnance du 29 janvier 2016 sur les concessions les a soumises de plein droit au régime des concessions, avant que le code de la commande publique ne fasse de même. Néanmoins, il est prévu des règles additionnelles relatives à la passation de ces concessions contenues dans le code de l’urbanisme. Le choix ayant été fait par la commission de codification de ne pas transférer des règles déjà codifiées ailleurs, ces règles demeure dans le code de l’urbanisme.
Ces règles distinguent la procédure relative aux concessions d’aménagement transférant un risque économique (articles R. 300-4 à R. 300-9 du code de l’urbanisme) de la procédure relative aux concessions d’aménagement ne transférant pas un risque économique (articles R. 300-11-1 à R. 300-11-3 du code de l’urbanisme). Les premières renvoient de manière générale à la troisième partie du code de la commande publique relative aux concessions, en ajoutant de rares règles spécifiques. Les secondes renvoient à la deuxième partie du code de la commande publique relative aux marchés publics, en ajoutant de rares règles spécifiques également. Autrement dit, une concession d’aménagement est assimilée, en dépit de son nom, à un marché si elle ne transfère pas de risque économique, c’est-à-dire si le cocontractant n’assume pas de risque d’exploitation. En ce cas, l’article R. 300-11-2 du code de l’urbanisme soumet ces « concessions » au régime du marché de travaux en ce qu’il fait référence à leur seuil, impliquant que l’on est bien en présence d’un marché de travaux.
Le Conseil d’Etat a appliqué cette distinction à une convention d’aménagement signée en 1991 c’est-à-dire à une époque, donc, où une telle distinction n’était pas prévue par les textes, et alors qu’il avait lui-même avait estimé que les concessions d’aménagement n’étaient pas des marchés publics au sens du droit interne (CE 26 mars 1997, Commune de Sceaux, n° 129943, inédit). Pour le juge, en vertu des clauses du contrat en cause, la ville bénéficiera à l’expiration de la concession du solde positif ou prendra en charge le solde négatif résultant des comptes de l’opération. Il applique ainsi le critère de l’absence du risque d’exploitation à une convention signée à une date où ce n’était en rien le critère de distinction (CE 18 mai 2021, n°443153, CA de Lens-Liévin / Société Territoires 62).
● Les contrats de revitalisation artisanale et commerciale
L’article 19 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises prévoit la mise en œuvre par l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, de contrats de revitalisation artisanale et commerciale qui ont « pour objectif de favoriser la diversité, le développement et la modernisation des activités dans des périmètres caractérisés soit par une disparition progressive des activités commerciales, soit par un développement de la mono-activité au détriment des commerces et des services de proximité, soit par une dégradation de l’offre commerciale, ou de contribuer à la sauvegarde et à la protection du commerce de proximité. Les quartiers prioritaires de la politique de la ville figurent parmi les périmètres ciblés par ce dispositif expérimental ».
Etant expérimentaux – en l’occurrence 5 ans, échéance arrivant donc à terme en juin 2019, ces contrats n’ont pas été intégrés au code de la commande publique qui a vocation, comme tout code, à ne codifier que les dispositions pérennes.
Le fondement de cette disposition, et notamment la distinction avec la concession d’aménagement, est expliqué par la DAJ du MINEFI dans sa fiche « Contrats de la commande publique et autres contrats ».
DOCTRINE ADMINISTRATIVE
Fiche DAJ du MINEFI sur les « Contrats de la commande publique et autres contrats », p. 24 : « L’adoption de cette disposition résulte du constat de l’inadaptation de la formule de la concession d’aménagement pour dynamiser le commerce en ville, lorsque la mission confiée par la collectivité ne relève pas d’une opération globale d’aménagement comprenant des équipements publics. Ces contrats, attribués après mise en concurrence, autorisent l’opérateur à acquérir les biens nécessaires à leur mise en œuvre, le cas échéant, par voie de préemption. Il peut, de plus, procéder à la vente ou à la location des biens immobiliers situés à l’intérieur du périmètre d’intervention. Le critère de distinction entre les contrats de revitalisation artisanale et commerciale qui relèvent du droit des marchés publics et ceux qui relèvent du droit des concessions réside dans la question de savoir si un risque d’exploitation est supporté par le cocontractant. Le régime des contrats de revitalisation artisanale et commerciale emportant transfert d’un risque économique lié à l’opération d’aménagement est aligné sur le régime des contrats de concession (…) ».
Comme pour les concessions d’aménagement, ces contrats peuvent donc être des concessions ou des marchés selon que le cocontractant assume ou non un risque d’exploitation.
BIBLIOGRAPHIE
Guylain Clamour, « Contrats de revitalisation artisanale et commerciale – Le(s) régime(s) de passation des contrats de revitalisation artisanale et commerciale », Contrats et Marchés publics n° 8-9, Août 2015, comm. 197
Rozen Noguellou, « Contrats – Les contrats de revitalisation artisanale et commerciale », Droit Administratif n° 8-9, Août 2015, alerte 79
Hélène Pauliat, « Procédure de passation des contrats de revitalisation artisanale et commerciale », JCP A, n° 28, 13 Juillet 2015, act. 613
4.2 – Les marchés publics de fournitures
L’article L. 1111-3 du CCP dispose qu’« un marché public de fournitures a pour objet l’achat, la prise en crédit-bail, la location ou la location-vente de produits. Il peut comprendre, à titre accessoire, des travaux de pose et d’installation ».
Cette définition apporte trois types de renseignements.
4.2.1 – Diversité des formes d’acquisition
En premier lieu, il n’est pas seulement question d’achat mais de toute forme d’acquisition d’un produit. Le terme d’achat serait d’ailleurs réducteur puisqu’il pourrait laisser croire que seul ce qui correspond à une vente d’un produit à une personne soumise au code serait soumis au droit de la commande publique. Or, depuis le code 2001, toutes ces différentes formes d’acquisition sont explicitement prévues pour éviter tout risque d’ambiguïté, le droit interne ayant enfin repris la définition très complète du marché de fourniture contenue déjà dans La directive n° 93/36/CEE du 14 juin 1993.
REMARQUE
Il ne faut donc pas s’arrêter au fait que le marché public est passé par un « acheteur » pour conclure que seuls les achats sont concernés par le droit des marchés publics.
Le code de la commande publique ne donne pas de définition du crédit-bail, on peut donc se reporter à la définition qu’en donne, pour le crédit-bail mobilier, l’article L 313-7 § 1 du code monétaire et financier.
TEXTE OFFICIEL
Article L. 313-7 du code monétaire et financier : « Les opérations de crédit-bail mentionnées par la présente sous-section sont :
1. Les opérations de location de biens d’équipement ou de matériel d’outillage achetés en vue de cette location par des entreprises qui en demeurent propriétaires, lorsque ces opérations, quelle que soit leur qualification, donnent au locataire la possibilité d’acquérir tout ou partie des biens loués, moyennant un prix convenu tenant compte, au moins pour partie, des versements effectués à titre de loyers ».
Le fait que la définition soit donnée dans le code monétaire et financier souligne bien qu’il s’agit d’une opération de financement.
Quant à la location-vente, elle est surtout utilisée en France dans un contexte immobilier mais l’expression provient ici du droit européen.
De manière générale, il ne faut pas trop s’arrêter à la forme ou à la dénomination de l’acquisition, pas plus qu’à sa durée ou à la propriété des biens mobiliers concernés. A cet égard, la location avec option d’achat ou la location longue durée, même si elles ne sont pas mentionnées expressément dans le texte, sont également des moyens d’acquisition qui entrent dans la définition du marché public.
Comme on peut s’y attendre, encore faut-il que les produits en question répondent aux besoins de l’acheteur. Tel n’est pas le cas pour un contrat verbal liant une maison de retraite à une pharmacie et visant à la livraison de médicaments aux résidents dès lors qu’il n’implique aucune participation financière de la personne publique, même s’il a une nature administrative car il fait participer le cocontractant au service public (CAA Lyon, 9 janvier 2020, n° 18LY00267).
4.2.2 – Signification du terme « produit »
Le CCP ne donne pas de définition du terme « produit ». Il est permis de l’assimiler au bien meuble au sens juridique du terme. Le code civil définit les biens meubles de la manière suivante : « Sont meubles par leur nature les biens qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre » (article 528 du code civil).
En outre, ne sont pas seulement concernés les produits existants, c’est-à-dire déjà présents sur le « marché ». On peut ainsi considérer comme produits ceux fabriqués à la demande et sur les spécifications de l’acheteur. A cet égard, le CCAG marchés industriels concerne soit des fournitures, soit des services, mais dans les deux cas ces fournitures et services sont conçus et réalisés spécialement pour répondre aux besoins du pouvoir adjudicateur.
TEXTE OFFICIEL
Arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics industriels : « les prestations désignent, selon l’objet du marché, la fourniture d’équipements ou de prototypes ou de services, conçus et réalisés spécialement pour répondre aux besoins du pouvoir adjudicateur. Les prestations objet du marché peuvent comporter une part d’études »
4.2.3 – Le caractère accessoire de la pose et de l’installation
L’article L. 1111-3 du CCP indique qu’un marché de fourniture peut comprendre des prestations de pose et d’installation, sous-entendu sans perdre sa qualification de marché de fourniture.
Ces prestations pourraient être considérés sinon comme soit des services, soit des travaux. La notion d’« accessoire » n’est pas précisée par le CCP. On pourrait se référer à l’objet principal du contrat, ce qui ne serait guère éclairant compte tenu de son caractère subjectif (cf. supra sur la notion de marché de travaux ainsi que le dossier sur les contrats mixtes). Sans que cela soit le seul critère, la valeur moindre de la pose et de l’installation jouera incontestablement un rôle important pour déterminer leur caractère accessoire.
REMARQUE
La particularité du marché de fourniture tient aussi au fait que, puisqu’il n’existe pas de concession de fournitures (cf. dossier sur la notion de concession), un contrat qui aurait la qualité de fourniture mais dans lequel il y aurait un risque sur la rémunération du fournisseur serait quand même un marché. On peut imaginer que cela pourrait être le cas d’un contrat qui associe fourniture (et qui représenterait la majeure partie de la rémunération) et service dans lequel la rémunération du service est dépendant de l’exploitation.
4.3 – Les marchés publics de service
L’article L. 1111-6 du CCP dispose qu’« un marché public de services a pour objet la réalisation de prestations de services ».
Le caractère tautologique de cette définition traduit seulement l’existence d’une catégorie résiduelle : le service correspond à tout ce qui n’est pas travaux ou fourniture.
Comme en matière de travaux, la question peut se poser de savoir si un contrat passé entre une personne soumise au code de la commande publique et son cocontractant répond vraiment aux besoins de la première. En outre, il n’est plus, en principe, besoin de rechercher si le régime juridique d’un service donné le fait échapper à la qualification de marché public.
4.3.1 – Les services ne répondant pas aux besoins d’un acheteur
Il peut arriver, assez fréquemment, que la question se pose de savoir si un contrat, qui prévoit une occupation du domaine public, répond ou non à un besoin de l’acheteur. Une telle qualification n’est pas toujours évidente et il arrive que le Conseil d’Etat ne suive pas l’avis d’une cour administrative d’appel à cet égard, s’agissant par exemple de certains contrats de mobilier urbain.
JURISPRUDENCE
CE 15 mai 2013, n°364593, Ville de Paris, BJCP 2013, n° 90, p. 359, concl. Dacosta ; AJDA 2013. 1273, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; JCP-A 2013, com. 2180, note J.-F. Giacuzzo ; Dr adm. 2013, com. 63, obs. F. Brenet) : « 5. Considérant que la convention litigieuse prévoit ainsi l’affectation d’une partie de ces mobiliers à l’affichage de programmes de théâtres, cirques et films d’art et d’essai à des tarifs préférentiels, dans le respect des prescriptions des articles 22 et 23 du décret du 21 novembre 1980 fixant la procédure d’institution des zones de réglementation spéciale prévues aux articles 6 et 9 de la loi du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et préenseignes, aujourd’hui codifiées aux articles R. 581-45 et 46 du code de l’environnement, et disposant respectivement que les colonnes porte-affiches sont exclusivement destinées à recevoir l’annonce de spectacles ou de manifestations culturelles et que les mâts porte-affiches sont exclusivement utilisables pour l’annonce de manifestations économiques, sociales, culturelles ou sportives ; que si cette affectation culturelle des mobiliers, résultant des obligations légales précitées, répond à un intérêt général s’attachant pour la Ville, gestionnaire du domaine, à la promotion des activités culturelles sur son territoire, il est constant qu’elle ne concerne pas des activités menées par les services municipaux ni exercées pour leur compte ; qu’ainsi, la cour a commis une erreur de qualification juridique en déduisant des clauses mentionnées au point 4 que la convention devait être regardée comme un marché public conclu pour répondre aux besoins de la Ville, au sens de l’article 1er du code des marchés publics ; que, par suite et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, la Ville de Paris est fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ».
Cette jurisprudence est toujours en vigueur, à notre sens, en dépit de la jurisprudence de 2018 Védiaud publicité précitée, car dans cette dernière le mobilier urbain servait aussi à diffuser de l’information municipale.
Dans un tout autre contexte, il a pu être jugé qu’un contrat par lequel un pouvoir adjudicateur cède à une société des certificats d’économies d’énergie ne constitue pas un marché public, faute de répondre à un besoin de la personne publique, quand bien même les recettes ainsi procurées participeraient au financement d’un ouvrage répondant aux besoins d’un acheteur public.
JURISPRUDENCE
CE 7 juin 2018, n°416664, Sté Géo France : « 4. Considérant qu’il ressort des énonciations de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Versailles que le contrat en litige conclu entre le SIREDOM et la société Capital Energy a pour seul objet la cession par le syndicat des droits à délivrance de certificats d’économies d’énergie, qui constituent des biens meubles, produits par l’opération de production de chaleur de récupération en échange d’un prix payé par la société Capital Energy ; 5. Considérant qu’ainsi que l’a relevé le juge des référés au terme d’une appréciation souveraine de ses stipulations, ce contrat, qui ne comporte ni exécution de travaux, ni livraison de fournitures, ni prestation de services de la part du cocontractant, n’a pas pour objet de satisfaire un besoin du SIREDOM au moyen d’une prestation en échange d’un prix ; que la circonstance que les recettes ainsi acquises par le SIREDOM puissent être affectées au financement des travaux d’adaptation du centre intégré de traitement des déchets conclu avec la société Eiffage est sans incidence sur l’objet du contrat en litige, qui est distinct du marché de conception-réalisation portant sur les travaux d’adaptation du centre ; que ce contrat n’étant pas un marché public, il ne revêt pas un caractère administratif par détermination de la loi ; qu’il ne fait pas non plus participer la société cocontractante à l’exécution du service public et ne comporte pas de clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, impliquent, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ; qu’il a, en conséquence, le caractère d’un contrat de droit privé ; qu’ainsi, le juge des référés, qui n’a pas commis d’erreur de droit, ne pouvait que rejeter la demande d’annulation qui lui était présentée par la société Geo France Finance ».
De même, la coopération organisée par une convention conclue dans le cadre prévu par les articles L. 6133-1 et suivants du code de la santé publique entre un centre hospitalier et une société d’imagerie a pour objet de faciliter et de développer l’imagerie médicale de ses membres par l’utilisation commune d’équipements mis à disposition par le centre hospitalier afin de répondre aux besoins de santé de la population du territoire desservi et les honoraires des actes accomplis par les médecins libéraux intervenants sont intégralement versés à la société sous forme de rétrocessions. Cette convention de groupement de coopération sanitaire n’a pas pour objet l’acquisition de biens, travaux ou prestations de services par le centre hospitalier et que cette convention ne peut être regardée comme un marché public (CE 10 juillet 2020, n°427782).
Dans le même genre d’idées, les offres de concours par lesquelles des personnes contribuent matériellement ou financièrement à la réalisation d’une opération de travaux publics ne sauraient être qualifiées de marchés publics.
DOCTRINE OFFICIELLE
Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics, septembre 2014, article 2.2 : « Ne sont pas des marchés publics les contrats qui excluent une rémunération du cocontractant et se caractérisent, au contraire, par le versement, par celui-ci, d’une redevance ou d’un prix à l’administration. C’est le cas […] offres de concours. L’offre de concours est un contrat par lequel une personne intéressée à la réalisation de travaux publics s’engage à fournir, gratuitement, une participation à l’exécution de ces travaux. Cette participation peut être financière ou en nature (fourniture d’un terrain ou de main-d’œuvre ou réalisation de prestations ».
Cela ne faisait guère de doute pour le financement. En revanche, la participation par le prêt de main d’œuvre était plus délicate car on aurait pu imaginer que, ce faisant, le participant à une opération de travaux publics pouvait retirer une contrepartie financière de la présence de l’ouvrage en échange d’un service rendu à la personne publique. Mais on doit considérer que l’opération aurait de toute manière était menée par cette dernière, qu’il y ait participation ou non, et qu’il n’y a donc pas vraiment prestation de service au sens strict dès lors qu’il ne s’agit que d’une simple participation, l’essentiel de l’opération étant faite par un quelqu’un d’autre (la personne publique ou l’entreprise chargée par cette dernière d’exécuter les travaux).
A en revanche était qualifié de marché public ensemble contractuel qui prévoyait la mise à disposition gratuite d’un logiciel par un pouvoir adjudicateur à un autre et une coopération permettant les futurs développements de ce logiciel (CJUE 28 mai 2020, C-796/18, ISE).
4.3.2 – L’absence d’incidence du régime juridique sur la notion de marché public
Il fut un temps où le Conseil d’Etat pouvait juger qu’un régime juridique applicable à un type particulier de service le rendait incompatible avec la publicité et la mise en concurrence du droit des marchés publics et en tirait la conséquence qu’il ne pouvait y avoir marché public. En quelque sorte, le régime juridique déterminait la notion.
Il en allait ainsi en matière de contrats d’assurances ou pour les contrats de prestations juridiques passés par les personnes.
JURISPRUDENCE
Sur les contrats d’assurances, voir CE Sect. 12 octobre 1984, n°34671, Chambre syndicale des agents d’assurances des Hautes-Pyrénées, Rec. 326 ; RFDA 1985, 13, concl. Dandelot ;
Sur les prestations juridiques, voir CE Ass. 9 avril 1999, Toubol-Fischer, 196177, BJDCPBJCP, 1999, n° 5, p. 414, concl. Savoie ; AJDA 1999. 776, chron. Fombeur et Guyomar
Mais rien en droit européen ne permettait de justifier ce raisonnement. Seule une exclusion explicite du champ d’application des directives aurait pu justifier ces exclusions. Il est vrai qu’initialement, les directives avaient défini des services dit prioritaires (annexe I-A de la directive 92/50 ; annexe II-A de la directive 2004/18), soumis aux obligations de publicité et de mise en concurrence, et des services non prioritaires soumis seulement à l’envoi d’un avis d’attribution au JOUE au-dessus de certains seuils. Mais la catégorie des services prioritaires a peu à peu été réduite, et a même disparu avec la directive 2014/24.
Bien avant cette dernière disparition cependant, le droit interne avait admis qu’il puisse y avoir des marchés publics de prestations juridiques, même si l’on prévoyait alors une procédure adaptée. La soumission des prestations juridiques a été jugée légale par le Conseil d’Etat en 2003.
JURISPRUDENCE
CE Ass. 5 mars 2003, 238039, Ordre des avocats à la cour d’appel de Paris (Rec. 90, concl. Piveteau ; BJCP, n° 28, p. 209, concl. Piveteau ; AJDA 2003. 718, chron. F. Donnat et D. Casas) : « Considérant que si l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée, dans sa rédaction issue de la loi du 7 avril 1997 dispose : En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères, les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel, ces dispositions ne concernent que les documents élaborés au cours de l’exécution du marché de services juridiques, et non pas les pièces du marché lui-même ; qu’aucune disposition des articles 30 et 78 précités ne porte atteinte à ce secret ; que le moyen tiré de ce que ce secret serait méconnu par l’obligation de passer des contrats écrits, y compris en matière de représentation en justice, manque en fait dès lors que l’article 11, applicable à ces marchés en vertu de l’article 30, les exonère de cette formalité ; que si l’article 30 soumet les marchés de services juridiques autres que ceux ayant pour objet la représentation en justice aux dispositions du titre V du code relatives au contrôle des marchés, ce contrôle ne porte que sur les marchés proprement dits, et non pas sur les documents élaborés en exécution de ces marchés, comme les consultations adressées par un avocat à son client ; qu’ainsi il ne porte pas davantage atteinte au secret des relations entre l’avocat et son client ; que le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire ne pouvait édicter des règles portant atteinte à ce secret doit par voie de conséquence être écarté ».
Il en va de même des prestations d’assurances. De nos jours, plus personne n’admettrait qu’il y ait incompatibilité absolue entre assurances et mise en concurrence. S’agissant des prestations juridiques, , un projet de loi portant suppression des surtranspositions, de les exclure, comme l’y autorise la Directive 2014/24, si elles sont en lien avec un litige. Si le caractère intuitu personae de la relation peut justifier cette exclusion expresse, il n’y avait toutefois pas nécessité juridique d’exclure ces contrats car on ne saurait désormais admettre des exceptions au champ d’application en raison d’une incompatibilité du régime juridique, en dehors de celles prévues expressément pas les textes (cf. pour ces exclusions le dossier sur les marchés publics particuliers). Au demeurant, il n’est pas impensable que la jurisprudence les soumette finalement à un minimum de transparence par application des principes fondamentaux de la commande publique (voir le dossier sur les « Autres marchés »).
4.3.3 – La distinction avec le transfert de compétences
L’article L. 1101-1 du CCP dispose : « Ne sont pas soumis au présent code, outre les contrats de travail, les contrats ou conventions ayant pour objet :
1° Des transferts de compétences ou de responsabilités entre acheteurs ou entre autorités concédantes en vue de l’exercice de missions d’intérêt général sans rémunération de prestations contractuelles ; (…) ».
La distinction avec un marché public paraît assez évidente, notamment compte tenu de l’absence de rémunération, mais le code a néanmoins pris le soin d’insister, et la DAJ ainsi que la Cour de justice ont apporté des précisions à ce propos, notamment en distinguant transfert ponctuel d’autorité par le biais d’un mandat et vrai transfert de compétence.