1 – Introduction
La notion de marché public est constituée de plusieurs sous-catégories, d’après l’article L. 1110-1 du CCP : le marché, au sens général du terme, mais aussi le marché de partenariat et le marché de défense ou de sécurité. Le présent dossier est consacré à la notion de marché au sens général du terme, les deux autres notions faisant l’objet de dossiers à part entière. La notion de marché résulte de la définition donnée à l’article L. 1111-1 du CCP qui comporte quatre éléments : un élément formel (contrat), un élément financier (caractère onéreux), un élément organique (acheteur et opérateur économique) et un élément matériel (besoins de l’acheteur). Chacun de ces éléments a connu une extension notable depuis plusieurs années par l’effet des modifications textuelles mais surtout par l’effet de la jurisprudence, notamment européenne. L’élément organique faisant l’objet d’un livre II dans le CCP et d’un dossier à part dans cette encyclopédie, il n’est pas étudié dans le présent dossier.
Selon l’article L. 1111-1 du CCP, « un marché est un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au présent code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent ». Cette définition ne distingue donc plus accord-cadre et marché public pour le cantonner l’accord-cadre à ce qu’il est : une technique d’achat parmi d’autres (voir le dossier sur les techniques d’achat).
REMARQUE
Jusqu’à l’ordonnance introduisant le Code de la commande publique, le droit français ne rangeait pas l’accord-cadre dans la définition du marché, contrairement au droit européen. Même selon le projet d’article L. 1111-1 du CCP soumis à concertation, un marché public était « un marché défini à l’article L. 1111-2 ou un accord-cadre défini à l’article L. 1111-3 ». La concertation menée à propos du projet de code a eu le mérite de pousser la direction des affaires juridiques (DAJ) du Ministère de l’économie et des finances à aligner le droit français sur le droit européen. Il n’était en effet pas besoin de distinguer les accords-cadres des marchés puisque la directive 2014/24 ne le fait pas.
Il résulte de la définition de l’article L. 1111-1 du CCP précité que, pour qu’il y ait marché, quatre éléments doivent être présents : un élément formel (un contrat), un élément financier (conclu en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent), un élément organique (passé entre un – ou plusieurs – acheteur soumis au présent code et un – ou plusieurs – opérateur économique) et un élément matériel (pour répondre aux besoins des acheteurs). L’élément organique de la définition faisant l’objet d’un renvoi aux acheteurs et aux opérateurs économiques, définis dans le livre 2 relatif aux « acteurs de la commande publique », il sera renvoyé au dossier correspondant de cette encyclopédie.
Seront donc examinés successivement l’élément formel, l’élément financier et l’élément matériel de la définition du marché.
2 – L’élément formel : un contrat
L’article L. 1111-1 du CCP prévoit que le marché est un « contrat ». Contrairement à la directive citée plus haut, il n’est pas fait allusion à son caractère écrit. Ceci s’explique tout simplement par le fait que l’obligation du caractère écrit du marché n’est imposée par le droit interne, en principe, qu’à compter de 25000 euros HT (R. 2112-1 du CCP). Or, même en dessous de ce seuil, on est en présence d’un marché public, fût-il passé sans écrit, alors que la directive européenne ne concerne que des marchés d’un montant bien supérieur.
REMARQUE
Le caractère « écrit » du marché dans la définition de la directive vise en réalité non pas un élément de sa définition mais une obligation à respecter. Une interprétation inverse conduirait à facilement échapper aux obligations du droit de la commande publique s’il suffisait d’invoquer l’absence d’écrit pour conclure à l’inexistence d’un marché public. Il en va de même des cas où un écrit est requis en droit interne. Outre l’ensemble des marchés supérieurs à 25 000 euros HT, l’obligation d’un écrit s’impose quel que soit le montant pour : les marchés de conduite d’opération (article L. 2422-3 du CCP), les mandats de maîtrise d’ouvrage (article L. 2422-7 du CCP), les marchés publics d’assurances (article L. 112-3 du code des assurances) et les marchés publics de prestations de services juridiques conclus avec des avocats (articles 7 et 10 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971).
L’élément formel de la notion de marché tient donc à l’existence d’un contrat et ce contrat peut être verbal (cf. CE 4 juillet 1975, n°94137, Ville d’Anthony). Et il ne faut pas ici trop s’attacher à la forme, du moins à la forme retenue par les parties : pour qu’il y ait marché, il importe peu que les parties aient appelé les rapports qu’elles nouent « contrat », il faut qu’elles soient en relations véritablement contractuelles. A l’inverse, l’absence de tout document intitulé « contrat » n’exclut pas la qualification de marché : ce qui compte est là encore l’existence d’un véritable rapport contractuel.
La jurisprudence administrative, comme la jurisprudence judiciaire, a, depuis longtemps, illustré la notion de contrat. Mais c’est souvent dans un autre but que celui de la qualification de marché public ou de contrat de concession. Pour la jurisprudence administrative, en dehors du contexte du droit de la commande publique, il s’agit généralement de déterminer si on est en présence d’un contrat administratif ou d’un acte administratif unilatéral, avec surtout la conséquence que le recours pour excès de pouvoir n’est pas ouvert dans le premier cas sauf rarissimes exceptions. Les critères alors mis en œuvre peuvent différer de ceux utilisés pour admettre un contrat dans un contexte de commande publique. En effet, le juge pourra requalifier en acte administratif unilatéral ce qui est dénommé contrat (CE 21 décembre 2007, n°299608, Clinique Saint-Roch ; CE 21 octobre 1988, n°70066, SARL Cetra, rec. p. 364 : la convention « était soumise aux mêmes conditions de précarité que l’autorisation unilatérale initiale qu’elle prolongeait»). Inversement, un acte d’apparence unilatérale peut être requalifié en contrat (CE 25 novembre 1994, n°137318, Soc. Aticam, Rec. p. 514 : un « règlement d’exploitation » de hangars annexé à un véritable contrat d’occupation du domaine public constitue un document contractuel). Enfin, le juge administratif peut dénier être en présence d’un contrat, faute d’effet juridique à l’image des rapports entre directeurs de thèse et doctorants (CE 21 décembre 2001, n°220997).
On le voit, la jurisprudence administrative traditionnelle se fonde sur différents motifs pour conclure dans certains cas à l’absence ou à la présence de contrats, suivant le contexte en cause et les textes applicables. On ne peut donc s’en inspirer de manière satisfaisante dans un contexte propre au droit de la commande publique et il faut bien veiller à ne pas transposer purement et simplement les critères adoptés pour admettre l’existence d’un contrat administratif ou d’un contrat de droit privé en dehors de la commande publique à un contexte de commande publique. En effet, la tendance naturelle, dans un contexte de commande publique, est d’étendre la notion de contrat afin de s’assurer du respect des obligations de mise en concurrence. Encore convient-il de distinguer à cet égard entre jurisprudence interne et européenne car les critères ne sont pas strictement identiques.
2.1 – Les critères du contrat dans la jurisprudence interne relative à la commande publique
La Direction des affaires juridiques du Minefi n’omet pas de faire référence à ce critère de la présence d’un contrat dans la définition du marché, sans toutefois mettre en avant le caractère extensif de la notion de contrat dans ce cadre.
DOCTRINE OFFICIELLE
DAJ, Fiche technique « Marchés publics et autres contrats », p. 2 : « La définition de marché public suppose l’existence d’un contrat. À l’inverse, la dévolution strictement unilatérale ne peut être qualifiée de marché public. En effet, l’investiture par voie unilatérale d’un opérateur, même pour accomplir une mission d’intérêt général, n’implique pas de lien contractuel. Afin de déterminer l’existence d’un tel acte unilatéral, il convient de vérifier si cet acte manifeste le fait d’imposer à un opérateur des conditions qui se départissent sensiblement des conditions normales de l’offre commerciale de l’opérateur économique ».
Il est exact de dire que c’est surtout au regard de la distinction entre contrat et acte unilatéral que les juges se sont prononcés.
Le Conseil d’Etat a été amené à requalifier en marché public ce qui était initialement présenté comme un acte unilatéral mais aussi, à l’inverse, à écarter l’existence de tout contrat de commande publique alors même que les parties faisaient allusion à un contrat.
2.1.1 – La qualification contractuelle
La jurisprudence illustre dans différents contextes l’opération de qualification voire de requalification contractuelle.
La solution n’est pas évidente lorsque plusieurs agréments peuvent être délivrés et alors même que les personnes agrées seront payées par la personne publique. La Cour de justice n’y voit pas un marché public dans la mesure où précisément chaque personne remplissant des conditions minimales peuvent bénéficier de l’agrément. En revanche, il y a bien marché et non pour un agrément délivré à une seul entreprise chargée d’une prestation de collecte de visas et alors même que les prix payés par les usagers sont fixés par un cahier des charges.
JURISPRUDENCE
CJUE 1er mars 2018, C-9/17, Maria Tirkkonen (Contrats et Marchés publics n° 5, Mai 2018, comm. 101 par Marion Ubaud-Bergeron): « ne constitue pas un marché public, au sens de cette directive, un système de conseil agricole, tel que celui en cause au principal, par lequel une entité publique retient tous les opérateurs économiques qui remplissent les exigences d’aptitude posées par l’appel d’offres et qui ont réussi l’examen mentionné dans ledit appel d’offres, même si aucun nouvel opérateur ne peut être admis durant la durée de validité limitée de ce système ».
CE 29 juin 2012, n° 357976, Société Pro 2C (BJCP n° 84, septembre-octobre 2012, p. 336, concl. Boulouis, note Sophie Nicinski ; Contrats et marchés publics octobre 2012, comm. 270, note J.-P. Pietri) : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la » décision portant agrément d’un prestataire de services extérieur entre les demandeurs de visas et le service des visas « , signée par la responsable du consulat général de France à Tunis et la société TLS Contact le 2 février 2012, confie à cette dernière, pour une durée de deux ans et comme le permettent les dispositions précitées de l’article 43 du règlement du Parlement et du Conseil du 13 juillet 2009, les tâches matérielles liées à la collecte des dossiers des demandeurs de visa pour la France résidant dans la circonscription du consulat ; que ces tâches ainsi que les obligations du prestataire et les modalités de sa rémunération auprès des demandeurs de visa, et donc le prix payé par les usagers, sont fixées dans le cahier des charges annexé à la » décision d’agrément » et également signé par le consulat et la société TLS Contact ; que, par suite, cet acte doit être regardé comme un contrat de prestations de services ; que ce contrat, conclu après avis des ministres des affaires étrangères et de l’intérieur dans les conditions prévues par le règlement du Parlement et du Conseil du 13 juillet 2009, renvoie aux règles de droit interne relatives à la délivrance des visas, en particulier au décret du 13 août 1981, modifié par le décret du 24 février 1997, fixant le tarif des droits à percevoir dans les chancelleries diplomatiques et consulaires et, en territoire français, par le ministère des relations extérieures, ainsi qu’aux règles de droit interne relatives à la protection des données à caractère personnel ; que ce contrat est, par suite, régi par la loi française ; que, dès lors qu’il comporte des clauses exorbitantes du droit commun, notamment en ce qui concerne le droit permanent de visite et de contrôle de l’administration et la possibilité de résiliation unilatérale au bénéfice de l’administration, il constitue un contrat administratif ; que le juge administratif, compétent pour connaître des litiges nés de la passation et de l’exécution de contrats administratifs qui sont régis par la loi française, est, par suite, compétent pour en connaître ; »
D’agrément l’acte n’avait que le nom : l’objet correspondait clairement à des besoins du ministère, les obligations du prestataire étaient précisément délimitées et en outre, l’acte était signé des deux parties. Dans ses conclusions sur l’affaire, disponibles sur demande au service des conclusions du Conseil d’Etat, Nicolas Boulouis apportaient des précisions : le prestataire s’engageait à fournir une information sous la forme d’un site Internet, d’une plate-forme d’appels et de supports papiers, à collecter des données personnelles des demandeurs et les transmettre à l’administration et à collecter des droits de visa pour le compte de l’autorité consulaire et percevoir des frais de service. Le cahier des charges évoquait le respect des « documents contractuels », définissait une hiérarchie des documents entre eux et précisait qu’il pouvait être modifié par avenant. Bref, il ne manquait que le nom de contrat à cet acte de toute évidence contractuel.
Il est à relever que la suite de l’arrêt montre que le Conseil d’Etat n’applique pas le code des marchés publics, s’agissant d’un contrat conclu et exécuté à l’étranger, mais veille néanmoins au respect des principes de libre accès à la commande publique, d’égalité des candidats et de transparence des procédures, estimant que le droit français est applicable dans le prolongement de l’arrêt TEGOS (CE 21 décembre 1999, n°183648) dès lors qu’il était prévu le respect des règles du droit français relatives aux visas. Il considère en outre être en présence d’un marché public, ce qui n’est pas évident – quoique possible – pour un contrat dans lequel la rémunération du prestataire est assurée par les usagers. Cela étant, il se borne à appliquer les principes généraux susévoqués, qui valent pareillement en matière de marché public et de concession, et non le droit écrit des marchés publics, faisant, de manière prétorienne, du critère du lieu d’exécution un élément de l’applicabilité de ces règles.
La qualification contractuelle pouvait paraître un peu moins évidente à propos de l’intervention, pour des missions de maître d’œuvre, des vérificateurs des monuments historiques à la demande du Centre des monuments nationaux. On était en effet dans un contexte très réglementé : non seulement les honoraires forfaitaires de ces vérificateurs étaient fixés par voie réglementaire, mais en outre ils avaient la qualité de fonctionnaires et un arrêté ministériel procédait à la répartition géographique de leur champ d’intervention.
JURISPRUDENCE
CE 17 octobre 2016, n° 389131, Centre des monuments nationaux : « 4. Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 12 du décret du 5 mai 1987 relatifs aux honoraires et vacations alloués aux architectes en chef des monuments historiques et vérificateurs : » L’intervention des vérificateurs est rémunérée sous forme d’honoraires forfaitaires. Ce forfait est calculé selon les mêmes modalités que le forfait alloué à l’architecte en chef. Son taux est fixé par arrêté des ministres chargés du budget et de la culture » ; que le décret du 22 mars 1908 relatif à l’organisation du service d’architecture des bâtiments civils et des palais nationaux, qui régissait le recrutement et l’activité des vérificateurs des monuments historiques à la date des faits litigieux, avait prévu que ces derniers étaient nommés par arrêtés ministériels à des emplois permanents, qu’ils occupaient normalement jusqu’à la limite d’âge, avec pour mission de concourir de façon permanente au service public de l’entretien, de la conservation et de la construction de bâtiments faisant l’objet d’une protection particulière ; que leur nomination à un tel emploi comportait nécessairement leur titularisation dans le grade unique du corps que ce décret instituait ; que, ce faisant, et nonobstant la forme particulière de la rémunération des vérificateurs, empruntée aux usages de la profession, ou la circonstance qu’ils avaient la faculté, en dehors de leurs fonctions publiques, d’avoir une clientèle privée, le décret du 22 mars 1908 avait conféré à ces derniers la qualité de fonctionnaire ; que toutefois, nonobstant cette qualité, l’intervention des vérificateurs était rémunérée sous forme d’honoraires forfaitaires en application des dispositions précitées de l’article 12 du décret du 5 mai 1987, applicables au litige en vertu des dispositions transitoires de l’article 13 du décret du 22 juin 2009 relatif à la maîtrise d’oeuvre sur les immeubles classés au titre des monuments historiques ; que l’acte par lequel le Centre des monuments nationaux, maître d’ouvrage des travaux réalisés sur les monuments nationaux conformément aux dispositions de l’article 2 du décret du 26 avril 1995 portant statut de la Caisse nationale des monuments historiques et des sites, alors applicable, confiait la maîtrise d’oeuvre des travaux sur ces monuments, et qui, nonobstant la définition réglementaire du forfait des honoraires et du contenu des missions des vérificateurs des monuments nationaux, caractérisait un engagement conclu à titre onéreux pour répondre à un besoin de l’établissement public, devait être regardé comme un contrat de maîtrise d’oeuvre à l’égard de l’architecte en chef des monuments historiques et du vérificateur co-traitant ; que la circonstance que chaque vérificateur des monuments historiques se voyait confier, par arrêté ministériel, des circonscriptions géographiques sur lesquelles il avait compétence, ne faisait pas obstacle à l’application du code des marchés publics qui prévoyait, au II de son article 35, dans sa rédaction alors en vigueur, l’hypothèse dans laquelle le pouvoir adjudicateur était tenu de choisir le titulaire d’un droit ou d’une compétence particulièrement spécifique ; que par conséquent, la cour administrative d’appel de Paris n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit en jugeant que les décisions mentionnées au point 1 en date des 8 août et 27 septembre 2011 du président du Centre des monuments nationaux constituaient la résiliation des marchés conclus avec MM. A…et C…par des actes d’engagement en date des 3 décembre 2009 et 4 février 2010 ».
Le contexte ne poussait pourtant pas forcément à une acception extensive de la notion de marché public, puisque n’était pas en cause une question sur la passation, mais la question de savoir si la décision de mettre fin aux relations entre le groupement et le centre national était un retrait d’une décision créatrice de droit ou une résiliation et si, en conséquence, il fallait se placer sur le terrain de la responsabilité contractuelle, ce qui est admis en l’espèce. Cette solution n’a plus qu’un intérêt historique pour les vérificateurs puisque leurs missions de maitrise d’œuvre ont été confiées aux seuls architectes en chef des monuments historiques (comme l’explique le rapporteur public dans ses conclusions disponibles sur Arianeweb) mais elle reste intéressante pour ces derniers. Cette qualification de marché ne valait pas, pour autant, obligation de mise en concurrence et le Conseil d’Etat a pris le soin d’évoquer l’article 35.II de l’ex-code des marchés publics relatif aux marchés passés sans publicité ni mise en concurrence pour justifier le fait que, quoique marché, il n’était pas soumis aux règles de passation des marchés. Il est vrai que, outre le monopole dont ils disposent, le caractère forfaitaire de la rémunération semblait empêcher toute mise en concurrence, même à envisager une mise en concurrence entre seuls vérificateurs.
2.1.2 – La qualification unilatérale
En sens inverse, le Conseil d’Etat a conclu à l’absence de marché public et de délégation de service public à propos de la création d’un groupement d’intérêt public qui reprenait les activités de laboratoires d’un conseil départemental.
JURISPRUDENCE
CE 10 novembre 2010, n°319109, SOCIETE CARSO-LABORATOIRE SANTE HYGIENE ENVIRONNEMENT : « Considérant, en troisième lieu, qu’en créant avec la société Institut Pasteur de Lille – Santé Environnement Durables Est un groupement d’intérêt public destiné à reprendre les activités auparavant exercées par son laboratoire départemental d’analyses, le département de l’Allier, qui a ainsi renoncé à mettre en oeuvre de telles activités dans le cadre de ses missions de service public exercées à titre facultatif, ne peut être regardé comme ayant confié la gestion d’un service public dont il a la responsabilité à un délégataire public ou privé ; que, par suite, le moyen de la SOCIETE CARSO-LABORATOIRE SANTE HYGIENE ENVIRONNEMENT tiré de ce que la conclusion de la convention constitutive de ce groupement devait être précédée de la procédure de publicité et de mise en concurrence prévue par les dispositions des articles L. 1411-1 et suivants du code général des collectivités territoriales doit être écarté ;
Considérant, en quatrième lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que le groupement d’intérêt public I.P.L. Santé Environnement Durables Coeur de France n’a pas pour objet de répondre aux besoins du département de l’Allier en matière de prestations d’analyses dans les domaines de la santé publique vétérinaire et de l’hydrologie mais d’effectuer ces prestations, ainsi que des prestations complémentaires d’audit, de conseil, de recherche et de formation, au bénéfice de tiers sur l’ensemble du territoire national ; qu’ainsi, contrairement à ce que soutient la SOCIETE CARSO-LABORATOIRE SANTE HYGIENE ENVIRONNEMENT, la convention constitutive du groupement d’intérêt public I.P.L. Santé Environnement Durables Coeur de France et l’arrêté interministériel l’ayant approuvée n’ont nullement pour effet de permettre à ce groupement d’être attributaire d’un marché avec le département ; que, par suite, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la création du groupement d’intérêt public I.P.L. Santé Environnement Durables Coeur de France a été approuvée en méconnaissance des règles nationales et communautaires applicables aux marchés publics, lesquelles seront en revanche applicables aux marchés passés le cas échéant par le département de l’Allier avec ce groupement en vue de satisfaire à des besoins propres ; »
Si l’absence de marché public peut s’expliquer par le fait que le GIP ne répondait pas aux besoins du pouvoir adjudicateur, le Conseil d’Etat ne motive guère sa décision s’agissant de l’absence d’une délégation de service public et, par ailleurs, ne se prononce pas sur l’existence d’une concession de service, alors même que la qualification d’un contrat est toujours d’ordre public pour le juge administratif. On peut penser que pendant longtemps la délégation de service public occultait la concession de service alors qu’on admet aujourd’hui qu’il y a parfois lieu distinguer, en tout cas que c’est la qualification de concession qui importe. En l’espèce, l’absence de délégation de service public en l’espèce tenait probablement au fait que le département avait renoncé à en faire un service public.
Il est ainsi difficile de synthétiser la jurisprudence pour bien comprendre ce qui, dans un contexte de commande publique, pousse le juge administratif à identifier une relation contractuelle. Alors que les agréments existent dans de nombreux domaines, l’on peut se demander s’il ne faudrait pas y voir bien plus souvent une concession de service voir un marché public en l’absence de risque d’exploitation, dès lors qu’ils impliquent une certaine forme d’exclusivité et qu’ils entendent répondre aux besoins des acheteurs. Aussi convient-il de s’en remettre aux critères mis en avant par les juridictions européennes qui vont plus loin encore dans la requalification d’actes en marché ou concession.
2.2 – Les critères du contrat dans la jurisprudence européenne relative à la commande publique
Avant d’examiner la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, on relèvera que la directive 2014/24 envisage l’absence de relations contractuelles dans son considérant 34.
TEXTE OFFICIEL
Directive 2014/24 du 24 février 2014, considérant 34 : « Il existe des cas où une entité juridique agit, en vertu des dispositions pertinentes du droit national, en tant qu’instrument ou service technique pour le compte de pouvoirs adjudicateurs donnés et est contrainte d’exécuter les instructions que ceux-ci lui donnent, sans avoir d’influence sur la rémunération de sa prestation. Compte tenu de son caractère non contractuel, cette relation purement administrative ne devrait pas relever du champ d’application des procédures de passation de marchés publics ».
Si cette hypothèse est exacte, elle est sans doute un peu restrictive eu égard aux exemples jurisprudentiels connus de qualification contractuelle ou de non qualification contractuelle.
2.2.1 – La qualification contractuelle
Les exemples de qualification ou de requalification contractuelle sont aussi nombreux que divers.
Une autorisation de lotissement à l’intérieur duquel sera construit un ouvrage répondant à un besoin du pouvoir adjudicateur et alors même que seul le propriétaire du terrain peut le construire à cet endroit doit être regardée comme un marché public de travaux. La possibilité d’une réalisation directe de travaux prévue par la législation dans ce cadre ne saurait justifier une dérogation aux règles de publicité et de mise en concurrence.
JURISPRUDENCE
CJCE 12 juillet 2001, C-399/98, Ordre des architectes de la province de Milan et Lodi :
« Quant à l’élément tenant à l’existence d’un contrat
63. La Ville de Milan, Pirelli, MCS et la FTS estiment que cet élément fait défaut, car la réalisation directe des ouvrages d’équipement est prévue, sous forme de règle, par la législation italienne, nationale et régionale, en matière d’urbanisme, dont l’objet, la finalité, les caractéristiques et les intérêts qu’elle vise à sauvegarder sont différents de ceux de la réglementation communautaire en matière de marchés publics.
64. Elles soulignent en outre l’absence, pour l’autorité locale, de la faculté de choisir celui qui sera chargé d’exécuter les ouvrages, cette personne étant désignée par la loi en sa qualité de propriétaire des terrains faisant l’objet du lotissement.
65. Enfin, selon la défenderesse et les intervenantes au principal, même si l’on considérait que la réalisation directe a lieu en vertu des engagements souscrits dans la convention de lotissement, l’élément contractuel ferait encore défaut. En effet, la convention de lotissement étant une convention de droit public, participant de l’exercice de la puissance publique et non pas de l’autonomie privée, il ne saurait être question d’un «contrat» au sens de la directive. La municipalité conserverait les pouvoirs que lui confère la puissance publique en matière de gestion du territoire, «y compris celui de modifier ou de révoquer les plans d’urbanisme en fonction de l’évolution de la situation ou d’adopter de nouveaux critères d’appréciation correspondant mieux auxdits besoins» (arrêt de la Corte suprema di cassazione, chambres réunies, n° 6941, du 25 juillet 1994). Pour la même raison, il manquerait les éléments qui constituent la «causa» contractuelle et qui sont propres au contrat d’entreprise.
66. Il y a lieu de relever d’abord que la circonstance que la disposition de droit national prévoyant la réalisation directe des ouvrages d’équipement fait partie d’un ensemble de règles en matière d’urbanisme ayant des caractéristiques propres et poursuivant une finalité spécifique, distincte de celle de la directive, ne suffit pas pour exclure la réalisation directe du champ d’application de la directive lorsque les éléments requis pour qu’elle en relève se trouvent réunis.
67. À cet égard, ainsi que la juridiction de renvoi l’a indiqué, les ouvrages d’équipement mentionnés à l’article 4 de la loi n° 847/64 sont tout à fait susceptibles de constituer des travaux publics en raison, d’une part, de leurs qualités fonctionnelles propres à satisfaire les exigences d’équipement qui vont au-delà du simple habitat individuel et, d’autre part, du fait que l’administration compétente en a la maîtrise en tant qu’elle dispose d’un titre juridique qui lui en assure la disponibilité dans le but d’en garantir la jouissance à tous les usagers de la zone.
68. Ces éléments sont importants, parce qu’ils confirment l’affectation publique qui est, dès l’origine, assignée aux ouvrages à réaliser.
69. Ensuite, il résulte certes de l’ordonnance de renvoi que l’article 28, paragraphe 5, de la loi n° 1150/42 prévoit la possibilité de réaliser directement les ouvrages d’équipement secondaire dans le cadre d’un lotissement et que, selon l’article 12 de la loi régionale de Lombardie n° 60/77, tel que modifié par l’article 3 de la loi régionale de Lombardie n° 31/86, la réalisation directe constitue la règle. Toutefois, ces dispositions ne sont pas de nature à exclure l’existence de l’élément contractuel prévu à l’article 1er, sous a), de la directive.
70. En effet, d’une part, il résulte de la disposition susmentionnée de la législation régionale de Lombardie que l’administration communale conserve toujours la possibilité d’exiger, en lieu et place de la réalisation directe des ouvrages, le paiement d’une somme proportionnelle à leur coût effectif ainsi qu’à l’importance et aux caractéristiques des constructions. D’autre part, en cas de réalisation directe des ouvrages d’équipement, une convention de lotissement doit, de toute manière, être conclue entre l’administration communale et le(s) propriétaire(s) des terrains à lotir. 71. Il est certes vrai que l’administration communale n’a pas la faculté de choisir son contractant, parce que, conformément à la loi, cette personne est nécessairement celle qui a la propriété des terrains à lotir. Cependant, cette circonstance ne suffit pas à exclure le caractère contractuel du rapport noué entre l’administration communale et le lotisseur, dès lors que c’est la convention de lotissement conclue entre eux qui détermine les ouvrages d’équipement que le lotisseur doit à chaque fois réaliser ainsi que les conditions y afférentes, y compris l’approbation par la commune des projets de ces ouvrages. De surcroît, c’est en vertu des engagements souscrits par le lotisseur dans ladite convention que la commune disposera d’un titre juridique qui lui assurera la disponibilité des ouvrages ainsi déterminés, en vue de leur affectation publique.
72. Cette constatation est en outre corroborée, dans l’affaire au principal, par la circonstance que, selon les délibérations attaquées, le théâtre de la Bicocca doit être réalisé pour partie par exécution directe de la part des lotisseurs, «conformément à leurs obligations contractuelles relatives au plan de lotissement», et pour partie par procédure d’adjudication à la diligence de la Ville de Milan.
73. Enfin, contrairement à l’argumentation avancée par la défenderesse et les intervenantes au principal, la circonstance que la convention de lotissement relève du droit public et participe de l’exercice de la puissance publique ne s’oppose pas à l’existence de l’élément contractuel prévu à l’article 1er, sous a), de la directive, voire milite en sa faveur. En effet, dans plusieurs États membres, le contrat conclu entre un pouvoir adjudicateur et un entrepreneur est un contrat administratif, relevant en tant que tel du droit public.
74. Eu égard aux considérations qui précèdent, les éléments définis par la convention de lotissement et les accords passés dans le cadre de cette dernière sont suffisants pour que l’élément contractuel requis par l’article 1er, sous a), de la directive soit présent ».
Dans une autre affaire, l’existence d’un contrat est admise en présence d’une autorisation de lotissement. Une réglementation belge prévoit en effet une obligation de constructions sociales en cas de lotissement, sous l’appellation de « charge sociale ». Le lotisseur ou le maître d’ouvrage peut exécuter en tout ou en partie cette charge sociale au moyen du versement d’une cotisation sociale à la commune ou bien en réalisant ces logements. La réglementation prévoit en ce dernier cas une garantie de reprise des logements construits par la commune si aucune société de logement social n’est disposée à les reprendre.
La Cour en conclut à l’existence potentielle d’une relation contractuelle – et donc à un marché public ou à une concession selon qu’il existe un risque d’exploitation ou pas – dans la mesure où les logements sociaux serait la résultante d’une convention, même imposée par un texte réglementaire. En l’espèce, il n’est pas sûr que la convention visée par le texte réglementaire ait un tel objet.
JURISPRUDENCE
CJUE 8 mai 2013, C-197/11, Eric Libert et autres contre Gouvernement flamand : « À cet égard, il y a lieu de rappeler que, afin de conclure à l’existence d’une certaine relation contractuelle entre un sujet qui pourrait être qualifié de pouvoir adjudicateur et un maître d’ouvrage ou un lotisseur, la jurisprudence de la Cour exige, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 86 de ses conclusions, la conclusion d’une convention de lotissement entre l’administration et l’opérateur économique concerné visant à déterminer les ouvrages que ce dernier doit réaliser ainsi que les conditions y afférentes.
113 Lorsqu’une telle convention a été signée, la circonstance que la réalisation de logements sociaux est imposée directement par la réglementation interne et que le cocontractant de l’administration est nécessairement la personne qui a la propriété des terrains à bâtir ne suffit pas à exclure le caractère contractuel du rapport noué entre l’administration et le lotisseur concerné (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti e.a., C-399/98, Rec. p. I‑5409, points 69 et 71).
114 Or, s’il est vrai que le décret flamand requiert expressément, à son article 4.1.22, premier alinéa, la conclusion d’une convention d’administration entre le maître d’ouvrage ou le lotisseur et la société de logement social, il n’en demeure pas moins que cette convention, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, ne régit pas, en principe, les relations entre le pouvoir adjudicateur et l’opérateur économique concerné. En outre, une telle convention semble porter non pas sur la réalisation des logements sociaux, mais seulement sur la phase suivante, à savoir celle de leur mise sur le marché.
115 Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi d’apprécier, en tenant compte de l’ensemble de la législation applicable ainsi que de toutes les circonstances pertinentes de l’affaire au principal, si la réalisation de logements sociaux en cause au principal s’inscrit dans le cadre d’une relation contractuelle entre un pouvoir adjudicateur et un opérateur économique et s’il est satisfait aux autres critères énoncés au point 109 du présent arrêt.
(…)
119 Au regard des observations qui précèdent, il convient de répondre à la onzième question dans l’affaire C-203/11 que la réalisation de logements sociaux devant par la suite être vendus, à des prix plafonnés, à un organisme public de logement social ou moyennant la substitution de cet organisme au prestataire de services ayant réalisé ces logements relève de la notion de «marché public de travaux» définie à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 2004/18 lorsque les critères prévus à cette disposition sont réunis, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ».
S’agissant des conclusions de l’avocat général dans cette affaire, on peut admettre avec un auteur que sa conception ne correspond pas tout à fait à l’état de la jurisprudence.
DOCTRINE
Sophie Nicinski, II.100.1.4 in O. Guézou, Droit des marchés publics et contrats publics spéciaux, tome 1 : « L’Avocat général Mazak, dans ses conclusions sur les arrêts Eric Libert et All Projects & Developments NV e.a de 2013, s’est lancé dans la recherche de l’existence d’éléments caractérisant une véritable relation contractuelle. Assez curieusement, c’est le critère de la liberté contractuelle des parties qui semble prédominer, la capacité de l’opérateur de négocier les termes du contrat ou sa faculté de se soustraire à l’obligation objet du contrat. Encore plus curieusement, l’Avocat général se réfère aussi à l’effet utile du droit des marchés publics, pour affirmer qu’un contrat dans lequel l’opérateur ne tire aucun avantage économique ne peut relever du régime contraignant des directives. A notre sens, on s’éloigne ici quelque peu des critères du contrat en droit ».
Le fait de se soustraire à l’obligation objet du contrat ou de ne pas tirer un avantage économique n’est pas en effet un critère de la relation contractuelle.
En revanche, on ne suivra pas cette auteure lorsqu’elle fait référence à la possibilité de négocier comme n’étant pas un critère du caractère contractuel : même s’Il résulte de l’ensemble de ses jurisprudences que la Cour de justice juge au cas par cas de l’existence d’une relation contractuelle et qu’il est difficile de trouver un critère unique, celui de l’existence d’une possibilité de négociation, surtout dans un régime très contraint, semble le plus adéquat (cf. ci-dessous l’affaire Correos).
Par ailleurs, cet auteur évoque aussi l’existence d’un contrat dans le contexte dit du « in house » ou de la quasi-régie c’est-à-dire à la jurisprudence Teckal (CJCE 18 novembre 1999, C-107/98, Teckal). Certes, cette jurisprudence est à l’origine de cette exception à la mise en concurrence et s’est effectivement appuyée sur l’idée d’une absence de véritable contrat. Mais il s’agissait alors de rattacher cette exception prétorienne à un argument textuel par une sorte de fiction juridique : faute de contrat, il ne saurait y avoir marché compte tenu de la définition du marché public. Et pourtant, en l’espèce, il y a bien contrat entre deux personnes disposant d’une certaine autonomie de la volonté. De fait, les textes tant de droit européen que de droit interne, en « codifiant » cette jurisprudence, ne contestent pas que l’on soit en présence d’un contrat et c’est au titre des exclusions du champ d’application que cette exception se retrouve, c’est-à-dire au titre d’actes qui sont bien qualifiables de marchés ou de concessions mais qui sont exclus de la mise en concurrence compte tenu de l’inadéquation de celle-ci dans certaines situations. Il est donc inutile de se référer à la jurisprudence du « in house » pour essayer d’identifier une relation véritablement contractuelle.
2.2.2 – La qualification unilatérale
En premier lieu, la Cour de justice a précisé que l’absence de relation contractuelle peut résulter de la circonstance qu’une société « ne dispose d’aucune liberté, ni quant à la suite à donner à une commande faite par les autorités compétentes en cause ni quant au tarif applicable à ses prestations » (CJCE 19 avril 2007, C‑295/05, Asemfo).
Encore cet arrêt a-t-il été contextualisé par l’arrêt dit Correos du 18 décembre 2007 qui a ainsi réduit la portée de la jurisprudence Asemfo sur ce point.
JURISPRUDENCE
CJUE, 18 décembre 2007, C-220/06, Asociacion Profesional de Empresas de Reparto y Manipulado de Correspondencia contre Administracion General del Estado (Correos) : « 51 Il est vrai que, au point 54 de son arrêt du 19 avril 2007, Asemfo (C‑295/05, Rec. p. I‑2999), la Cour a jugé que la condition d’applicabilité des directives en matière de passation des marchés publics relative à l’existence d’un contrat n’est pas remplie lorsque la société d’État en cause dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt ne dispose d’aucune liberté, ni quant à la suite à donner à une commande faite par les autorités compétentes en cause ni quant au tarif applicable à ses prestations, ce qu’il incombait à la juridiction de renvoi de vérifier.
52 Toutefois, un tel raisonnement doit être lu dans son contexte spécifique. En effet, il fait suite à la constatation selon laquelle, en vertu de la législation espagnole, ladite société d’État est un moyen instrumental propre et un service technique de l’administration générale de l’État et de celles de chacune des communautés autonomes concernées, la Cour ayant déjà considéré, dans un contexte différent de celui de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Asemfo, précité, que, en tant que moyen instrumental et service technique de l’administration espagnole, la société en cause est tenue d’effectuer, à titre exclusif, les travaux que lui confient l’administration générale de l’État, les communautés autonomes et les organismes publics dépendant de celles-ci (arrêt Asemfo, précité, points 49 et 53) ».
Ce qui était en cause dans l’arrêt Correos était le recours au service postal universel dans un contexte particulièrement encadré : lorsque la demande émane de l’Etat (espagnol en l’occurrence), Correos n’a pas la possibilité de refuser d’accomplir la prestation et elle le fait à un tarif réglementé. Pour autant, la Cour juge que cela ne vaut pas automatiquement absence de lien contractuel. Encore faut-il établir si le prestataire dispose d’une certaine marge de négociation afin de vérifier si le prestataire du service universel est dans une position d’offre commerciale normale.
JURISPRUDENCE
CJUE, 18 décembre 2007, C-220/06 , Asociacion Profesional de Empresas de Reparto y Manipulado de Correspondencia contre Administracion General del Estado (Correos): « 53 Or, Correos, en tant que prestataire du service postal universel, a une tâche tout à fait différente, qui implique notamment que sa clientèle est composée de toute personne souhaitant faire appel au service postal universel. Le seul fait que cette société ne dispose d’aucune liberté, ni quant à la suite à donner à une commande faite par le Ministerio ni quant au tarif applicable à ses prestations, ne saurait avoir automatiquement pour conséquence qu’aucun contrat n’a été conclu entre ces deux entités.
54 En effet, une telle situation n’est pas nécessairement différente de celle qui existe lorsqu’un client privé souhaite faire appel aux services de Correos relevant du service postal universel, étant donné qu’il découle de la tâche même d’un prestataire de ce service que, dans un tel cas, il est également contraint d’effectuer le service demandé, et cela, le cas échéant, à des tarifs fixes ou, en tout état de cause, à des tarifs transparents et non discriminatoires. Or, il ne fait pas de doute qu’une telle relation doit être qualifiée de contractuelle. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’accord conclu entre Correos et le Ministerio serait en réalité un acte administratif unilatéral édictant des obligations à la seule charge de Correos, acte qui se départirait sensiblement des conditions normales de l’offre commerciale de cette société, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, qu’il conviendrait de conclure qu’un contrat fait défaut et que, par conséquent, la directive 92/50 ne saurait s’appliquer.
55 Dans le cadre de cette vérification, la juridiction de renvoi aura notamment à examiner si Correos dispose de la capacité de négocier avec le Ministerio le contenu concret des prestations à fournir ainsi que les tarifs applicables à ces dernières et si cette société a, en ce qui concerne les services non réservés, la faculté de se libérer des obligations découlant de l’accord de collaboration, moyennant le respect du préavis prévu par celui-ci ».
On imagine que la marge de négociation pourra porter sur les conditions d’exécution du service (délais d’exécution notamment) voire le contenu même de la prestation. La solution se justifie en effet par le fait que la mise en concurrence n’est pas inutile si, en dépit de tarifs fixés réglementairement pour un des candidats, elle peut jouer néanmoins sur d’autres aspects que le prix.
C’est par application de cette jurisprudence Correos qu’une réponse ministérielle dénie toute relation contractuelle et donc tout marché public lorsque le juge administratif désigne un expert.
DOCTRINE OFFICIELLE
Rép. min. n° 41108 : JOAN Q 22 décembre 2015, p. 10525 : « Les contrats conclus à titre onéreux pour répondre aux besoins des pouvoirs adjudicateurs sont des marchés publics au sens de l’article 1er du code des marchés publics. La dévolution d’une mission par un acte unilatéral ne répond en principe pas à la définition du marché public (CJCE, 18 décembre 2007, Asociacion Profesional de Empresas de Reparto y Manipulado de Correspondencia c/ Adminitracion General del Estado, C-220/06, points 54 et 55). Doivent ainsi être considérés unilatéraux les actes confiant une prestation à un opérateur économique qui ne peut ni négocier le contenu et les tarifs de sa prestation, ni se libérer de ses engagements. L’ordonnance par laquelle le juge des référés prescrit une mesure d’expertise sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative (CJA) constitue un acte juridictionnel et non un contrat. Le juge apprécie souverainement l’utilité de la mesure d’expertise et fixe le contenu de la mission de l’expert. Les honoraires de celui-ci sont, quant à eux, taxés par ordonnance du juge. L’ordonnance de taxe, qui revêt la nature d’un acte administratif (CE, sect. 17 juin 1983, Lassallette, no 24265), peut notamment fixer ces honoraires à un montant inférieur à celui demandé par l’expert (article R. 621-11 du CJA). Ainsi, la prescription de mesures d’expertise et la liquidation des frais et honoraires de l’expert ne résultent pas d’un accord de volonté entre le juge administratif et la personne désignée pour réaliser l’acte exigé, mais d’actes unilatéraux pris par l’autorité juridictionnelle. Ces actes relèvent du champ d’application du droit de la commande publique. Pour réaliser certains travaux destructifs ou certaines prestations de service à caractère probatoire, l’expert désigné peut avoir besoin de recourir à un tiers n’ayant pas la qualité de sapiteur. Il peut, à cet effet, directement conclure un contrat avec ce tiers. Seul un contrat conclu par un pouvoir adjudicateur ou par son mandataire pourrait revêtir la nature d’un marché public. Or les personnes privées ne peuvent être regardées comme des pouvoirs adjudicateurs au sens de la directive no 2004/18/CE du 31 mars 2004 et de l’ordonnance no 2005-649 du 6 juin 2005 que dans la mesure où un pouvoir adjudicateur exerce sur elles une influence financière, institutionnelle ou structurelle déterminante. Tel n’est pas le cas de l’expert judiciaire, dont les rapports avec la juridiction sont organisés par le livre VI du code de justice administrative. En outre, la seule circonstance que l’expert participe à la mission du service public judiciaire ne lui confère pas la qualité de mandataire d’un pouvoir adjudicateur, dès lors que la juridiction n’exerce aucun contrôle sur l’activité de l’expert (voir, pour un raisonnement similaire, CE Ass., avis, 16 mai 2002, req. no 366305). Dès lors que l’expert ne peut être regardé ni comme un pouvoir adjudicateur ni comme le mandataire d’un tel organisme, les contrats qu’il passe pour les besoins de sa mission ne sont pas soumis au droit de la commande publique. Enfin, lorsqu’en pratique l’expert demande à l’une des parties de confier des missions d’investigation à une entreprise qu’il désigne, le contrat conclu par la partie concernée ne répond pas aux besoins de celle-ci mais aux besoins du service public de la justice. Or seul un contrat répondant aux besoins propres d’un pouvoir adjudicateur peut être qualifié de marché public (article 1er du code des marchés publics). Par suite, et alors même que la partie qui supporte provisoirement la charge financière de ces mesures d’expertise aurait la qualité de pouvoir adjudicateur, le contrat ne peut être qualifié de marché public ».
Dans une autre affaire, relatives aux services d’urgence accomplis par le service des sapeurs-pompiers de Dublin, la Cour de justice a estimé qu’il n’y avait pas de contrat car le prestataire exerçait ainsi ses propres compétences tirées de la loi, alors même que la contribution versée par l’administration couvrait une partie des frais exposés. Peut-être le caractère partiel de la couverture des frais exposés a-t-il justement contribuer à conclure à l’inexistence d’un contrat, encore que l’on aurait alors pu y voir une concession. Au demeurant, s’agissant d’un recours en manquement, la solution peut aussi s’expliquer par le fait que la Commission n’a pas apporté la preuve de l’existence d’un contrat.
JURISPRUDENCE
CJCE 18 décembre 2007, C-532/03 , Commission c/ Irlande : « 29 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, sans préjudice de l’obligation des États membres, en vertu de l’article 10 CE, de faciliter l’accomplissement de la mission de la Commission, consistant notamment, selon l’article 211 CE, à veiller à l’application des dispositions du traité ainsi que des dispositions prises par les institutions en vertu de celui-ci (arrêt du 26 avril 2005, Commission/Irlande, C‑494/01, Rec. p. I‑3331, point 42), dans le cadre d’un recours en manquement, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué. C’est elle qui doit apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque (voir, notamment, arrêts du 25 mai 1982, Commission/Pays-Bas, 96/81, Rec. p. 1791, point 6; du 26 juin 2003, Commission/Espagne, C‑404/00, Rec. p. I‑6695, point 26, et du 26 avril 2007, Commission/Italie, C‑135/05, Rec. p. I‑3475, point 26).
30 La Commission fait valoir que le maintien d’un accord entre le DCC et l’Autorité, en l’absence de toute publicité préalable, constitue une violation des règles du traité et, partant, des principes généraux du droit communautaire, notamment du principe de transparence.
31 Au soutien de sa thèse, la Commission considère que, même en l’absence d’un contrat écrit détaillant les modalités selon lesquelles les services doivent être fournis par le DCC, la correspondance jointe à la lettre du 19 septembre 2002 indique que l’ampleur de ces services et les principes de leur rémunération ont été examinés par les parties et formalisés dans un projet d’accord conclu au cours du mois de juin de l’année 1998. Plus particulièrement, dans une lettre du 15 janvier 1999, annexée à la lettre du 19 septembre 2002, le responsable financier du DCC aurait constaté que les négociations sur le financement du service de transport d’urgence en ambulance avaient abouti, en juin 1998, à un accord déterminant les charges futures imputées par le DCC à l’Autorité.
32 La Commission soutient qu’il semble que le DCC et l’Autorité sont convenus de conclure un accord portant sur le niveau des services à accomplir et qu’un contrat en ce sens a été rédigé. Dès lors, selon la Commission, le DCC fournit des services de transport d’urgence en ambulance à l’initiative de l’Autorité et contre rémunération.
33 À cet égard, il y a lieu de relever qu’il ressort du dossier que la législation nationale habilite tant l’Autorité que le DCC à effectuer des services de transport d’urgence en ambulance. Aux termes de l’article 25 de la Fire Services Act 1981, une autorité de protection contre les incendies peut effectuer ou participer à une opération d’urgence, qu’il y ait ou non risque d’incendie, et peut en conséquence prendre les mesures qu’elle juge utiles à l’exercice de cette fonction pour le sauvetage ou la sauvegarde des personnes et la protection de la propriété. Ainsi, conformément à l’article 9 de cette même loi, une autorité locale telle que le DCC est l’autorité responsable du service de protection contre les incendies.
34 Depuis 1899 et jusqu’à l’année 1960, le DCC a assuré des services de transport d’urgence en ambulance en qualité d’autorité sanitaire. Par la suite, il a agi en tant qu’autorité locale et, en vertu de l’article 25 de la Fire Services Act 1981, il a fourni lesdits services au moyen de son service permanent de protection contre l’incendie.
35 Par conséquent, il ne saurait être exclu que le DCC fournit de tels services au public en exerçant ses propres compétences, directement tirées de la loi, et en utilisant ses fonds propres, bien qu’il perçoive à cette fin une contribution versée par l’Autorité et couvrant une partie des frais correspondant au coût de ces services.
36 À cet égard, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 29 du présent arrêt, il incombe, en l’espèce, à la Commission d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence d’une passation de marchés publics, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque.
37 Or, ni les arguments de la Commission ni les pièces produites ne démontrent qu’il aurait existé une passation d’un marché public, étant donné qu’il ne saurait être exclu que le DCC fournit des services de transport d’urgence en ambulance en exerçant ses propres compétences, directement tirées de la loi. Au demeurant, la simple existence, entre deux entités publiques, d’un mécanisme de financement concernant de tels services n’implique pas que les prestations de services concernées constituent une passation de marchés publics qu’il y aurait lieu d’apprécier au regard des règles fondamentales du traité.
38 La Commission n’ayant pas établi que l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité, le présent recours doit être rejeté ».
L’absence de lien contractuel réside donc dans l’obligation de contracter sans possibilité de négociation (Correos) ou lorsque les services résultent de la loi et que le versement d’une somme d’argent ne couvre pas les frais réellement engagés (Commission contre Irlande).
3 – L’élément financier : un contrat conclu en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent
Jusqu’au code de la commande publique, y compris dans le projet de code, le marché était un contrat conclu « à titre onéreux ». La simplicité de la formulation cachait des enjeux et des débats nourris et a connu une importante évolution comme il sera vu. En outre, la généralité de la référence au caractère onéreux ne permettait pas de distinguer le marché de la concession puisque la concession est aussi un contrat conclu à titre onéreux et que la distinction entre les deux porte précisément sur l’élément financier. C’est la raison pour laquelle la version définitive du code parle de « prix ou de tout autre équivalent ». Il ne faut pas toutefois y voir un changement d’optique dans la mesure où les directives européennes marchés parlent de contrat conclu à titre onéreux (voir, par exemple, l’article 2.1.5 de la directive 2014/24) et où la définition des contrats de la commande publique fait référence au caractère onéreux (« Sont des contrats de la commande publique les contrats conclus à titre onéreux par un acheteur ou une autorité concédante, pour répondre à ses besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, avec un ou plusieurs opérateurs économique », article L. 2 du CCP).
Initialement, la réglementation – implicitement – et la jurisprudence – explicitement -caractérisaient le marché par le versement d’un prix (CE 11 décembre 1963, Ville de Colombes, Lebon p. 812), cependant que la rémunération du cocontractant par les usagers excluait tout marché public (CE 10 avril 1970, Beau et Lagarde, Lebon p. 243 ; CE 6 mai 1991, n°65846, Syndicat intercommunal du Bocage, AJDA 1991, 717, note Subra).
TEXTE OFFICIEL
Code des marchés publics, version de 1964 : « Les marchés publics sont des contrats passés, dans les conditions prévues au présent code, par les collectivités publiques en vue de la réalisation de travaux, fournitures et services. ». Or les « conditions prévues au présent code » faisaient à plusieurs reprises référence au prix.
Tout juste pouvait-on trouver un arrêt dans lequel une concession d’endigage avait été qualifiée de marché de travaux publics mais cette qualification était en réalité inutile à la résolution du litige, qui portait sur le point de savoir si la demande indemnitaire avait pu se faire en l’absence de décision de rejet et donc simplement sur le fait de savoir si on était en présence de travaux publics. La qualification de concession de travaux publics aurait très bien pu faire l’affaire et la référence au « marché » était sans doute faite par inadvertance.
JURISPRUDENCE
CE 18 mars 1988, n°69723, Société civile des NEO-POLDERS : « Considérant que si certains des travaux d’intérêt général que la société devait effectuer dans le cadre du contrat d’endigage sur des terrains destinés à lui revenir après qu’il auraient été soustraits dans leur totalité à l’action des eaux ne pouvaient être regardés comme exécutés pour le compte d’une personne publique, les travaux d’édification des digues, lesquelles devaient après leur édification appartenir au domaine public, étaient exécutés pour le compte de l’Etat ; que le contrat unique afférent à ces deux séries d’opérations a dans son ensemble le caractère d’un marché de travaux publics ; que, dès lors, la requête présentée par cette société devant le tribunal administratif en vu d’être indemnisée du préjudice subi du fait de la décision du ministre de l’environnement et du cadre de vie lui refusant implicitement de poursuivre les travaux d’endigage prévus par la concession, était recevable alors même qu’elle n’était pas dirigée contre une décision ; qu’ainsi la société requérante est fondée à demander l’annulation du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande comme irrecevable ».
Dans le même ordre d’idée, le Conseil d’Etat avait évoqué un marché de travaux publics à propos d’un contrat dans lequel la rémunération se faisait en nature (extraction de gravier) mais ici encore, cette qualification était sans incidence, s’agissant d’une demande d’annulation d’une résiliation jugée irrecevable (CE 22 février 1980, n°11939, SA Les Sablières Modernes d’Aressy, Rec. t. 110) : la qualification de concession de service aurait pu aboutir au même résultat, en l’absence d’investissements importants du cocontractant.
La conception initiale du marché public, basée donc sur le critère du prix, s’accordait mal avec la conception extensive du marché public qu’a retenu de longue date la Cour de justice au nom de l’effet utile des directives marchés publics, à une époque où aucune règle de passation n’était prévue pour les concessions au niveau européen.
Symbole du décalage entre la conception interne et la conception européenne, le Conseil d’Etat avait pu juger être en présence d’un marché public au sens européen mais pas au sens interne, dans une hypothèse où le contrat passé entre deux personnes publiques prévoyait seulement le remboursement des frais engagés.
JURISPRUDENCE
CE 20 mai 1998, n°188239, Communautés de commune de Piémont-de-Barr : « Considérant que, par une première délibération du 14 janvier 1997, le conseil de la communauté de communes du Piémont de Barr a décidé, d’une part, de ne pas renouveler le contrat d’affermage qui, pour son service d’assainissement, la liait à la compagnie lyonnaise des eaux jusqu’au 1er octobre 1997 et, d’autre part, d’assurer à compter de cette date une « gestion en régie » de ce service ; que, par une autre délibération du même jour, qui se référait à la précédente, il a manifesté son intention de conclure une convention avec le service des eaux et de l’assainissement du Bas-Rhin, syndicat mixte dont la communauté de communes est membre pour que ce syndicat assure à compter du 1er octobre 1997 l’exploitation de ce service ; Considérant que la convention ainsi envisagée avec ce syndicat par la communauté de communes a, eu égard notamment à son objet, portant sur la fourniture de services, et au mode de rémunération » à livre ouvert » du cocontractant, le caractère d’un marché public au sens des dispositions précitées de l’article L. 22 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ; »
Considérant, il est vrai, qu’à l’appui de leur argumentation tendant à établir l’incompétence du juge de l’article L.22, les requérants invoquent les dispositions de l’article L. 5111-1 du code général des collectivités territoriales aux termes desquelles : « Les collectivités territoriales peuvent s’associer pour l’exercice de leurs compétences en créant des organismes publics de coopération dans les formes et conditions prévues par la législation en vigueur. Les collectivités territoriales peuvent conclure entre elles les conventions par lesquelles l’une d’elles s’engage à mettre à la disposition d’une autre collectivité ses services et moyens afin de lui faciliter l’exercice de ses compétences » ; que, toutefois, ces dispositions, relatives à la création d’organismes publics de coopération entre collectivités territoriales, ne sont pas applicables au contrat litigieux prévu pour la gestion d’un service d’assainissement entre deux établissements publics de coopération intercommunale ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le juge statuant en application de l’article L.22 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel n’aurait pas été compétent, doit être écarté ;
Sur le moyen relatif à la directive n° 92-50 du 18 juin 1992 :
Considérant que si le code des marchés publics ne s’applique pas à un contrat, tel que celui envisagé en l’espèce, entre deux établissements publics de coopération intercommunale dont l’un est adhérent de l’autre et qui contractent pour gérer, par leurs moyens communs, un service entrant dans le champ de leurs compétences et si, par suite, les règles de mise en concurrence prévues par ce code n’étaient pas applicables, un tel contrat doit être regardé comme un marché public de services au sens de la directive n° 92/50/CEE du Conseil du 18 juin 1992 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services ; qu’en vertu de l’article 1er de ladite directive, les marchés de services passés entre un pouvoir adjudicateur et un prestataire de services doivent faire l’objet d’une procédure de publicité et de mise en concurrence ».
Cette dichotomie, conduisant à appliquer les règles de mise en concurrence uniquement au-delà des seuils européens, ne pouvait perdurer et une évolution tant textuelle que jurisprudentielle a suivi.
L’évolution des textes a consisté, à compter du code des marchés publics 2001 et pour tous les textes suivants, à faire référence au caractère « onéreux » du marché. La jurisprudence a admis à leur suite, à compter de l’arrêt Decaux de 2005 (cf. infra), qu’un contrat sans versement d’une somme d’argent pouvait néanmoins être qualifié de marché public.
Le caractère onéreux n’est pas défini par les textes ou la jurisprudence interne. Un commissaire du gouvernement s’est inspiré du code civil pour expliquer que tout ce qui n’est pas gratuit est onéreux.
DOCTRINE
Didier Casas, CE ass. 4 novembre 2005, Société Jean-Claude Decaux, concl. D. Casas, RFDA 2005, p. 1088 : « La doctrine civiliste (B. Petit, fascicule « Contrats et obligations » au JCl. civil) tire de cette disposition l’opposition entre les contrats à titre onéreux et les contrats à titre gratuit, ce qui est le bon sens. Or, selon cette même doctrine, la notion de contrat à titre onéreux a un champ d’application très large puisqu’il inclut « tous les contrats dont chacune des parties entend retirer un avantage équivalent à celui qu’elle consent ». Du reste, la conception que la Cour de cassation a du contrat à titre onéreux est à ce point large que les contrats, au-delà de leurs apparences, bénéficient d’une sorte de présomption de caractère onéreux (cf. Cass. 3e civ. 31 mai 1989, Bull. civ. III, n° 126). À l’inverse, le contrat à titre gratuit correspond à des hypothèses très restrictives : soit celle des libéralités dont l’exemple-type en droit civil est la donation, soit celle qui nous intéresse particulièrement par référence au cas d’espèce des contrats de service gratuits, autrement dénommés « contrats désintéressés » ou « contrats de bienfaisance », qui ne sont à l’origine d’aucun transfert de valeur économique, d’aucun enrichissement de patrimoine. Ainsi, en droit civil, l’onérosité d’un contrat ne découle pas de l’existence d’un prix en bonne et due forme, qui aurait été affiché à l’avance et qui serait versé par l’une des parties directement à l’autre. Le critère du contrat onéreux est beaucoup plus large. Pour déduire le caractère onéreux d’un contrat, il suffit de constater l’existence d’un échange de valeur entre les parties au contrat, d’un enrichissement du patrimoine d’une des parties au détriment de celui de l’autre ».
Pour la CJUE, l’onérosité tient à l’existence d’une contre-prestation.
JURISPRUDENCE
CJCE 25 mars 2010, C-451/08, Helmut Muller (F. Llorens et Ph. Soler-Couteaux, « De l’onérosité et de l’intérêt économique direct comme critères des marchés publics », Contrats et marchés publics, n° 1, Janvier 2011, repère 1) : « le caractère onéreux du contrat implique que le pouvoir adjudicateur ayant conclu un marché public de travaux reçoive en vertu de celui-ci une prestation moyennent une contrepartie (…). Une telle prestation (…) doit comporter un intérêt économique direct pour le pouvoir adjudicateur ».
Les illustrations de la diversité du caractère onéreux sont nombreuses. Les exemples qui suivent sont tout à fait applicables au critère nouveau du « prix ou tout autre équivalent ». On mettra ici de côté le fait que le critère financier permet aussi de distinguer marché et concession : ce point est examiné en effet dans notre dossier relatif à la notion de concession.
Pour le reste, il est bienvenu de distinguer selon que l’acheteur verse une somme d’argent ou non. On peut en effet présenter la jurisprudence en disant qu’il y a présomption de marché dans le premier cas et une présomption contraire dans l’autre cas, mais cette présomption est simple et, dans les deux cas, peut être renversée dans certaines circonstances.
3.1 – Présomption de marché en cas de versement d’une somme d’argent
Si, en présence d’une relation contractuelle existant entre acheteur et un opérateur économique, le premier verse une somme d’argent au second, il y a de fortes chances que l’on soit en présence d’un marché. Il n’en ira autrement que s’il n’y a pas équivalence des prestations, qui permet de distinguer le marché public de l’aide d’Etat et le marché public de la subvention.
Il est à noter que peu importe que la rémunération ne permette pas de dégager une marge bénéficiaire : le simple remboursement des frais engagés n’exclut la qualification de marché que s’il s’accompagne de bien d’autres éléments qui permettent de conclure à l’existence d’une coopération public-public (CJCE 9 juin 2009, C-480/06, Commission c/Allemagne). Du reste, il a déjà été jugé qu’une offre de prix ne permettant pas à une entreprise de faire un bénéfice ne constitue pas nécessairement une offre anormalement basse (CE, 22 janv. 2018, n° 414860, Sté comptoir de négoce d’équipements).
3.1.1 – La distinction du marché et de la subvention
De même qu’il existe une définition légale du marché public, il existe une définition légale de la subvention.
TEXTE
Article 9-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : « Constituent des subventions, au sens de la présente loi, les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l’acte d’attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d’un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d’une action ou d’un projet d’investissement, à la contribution au développement d’activités ou au financement global de l’activité de l’organisme de droit privé bénéficiaire. Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en œuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires. Ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les accordent ».
On le voit, la loi est assez précise pour décrire ce qui constitue une subvention ou pas : elle insiste sur l’importance de l’initiative et de la définition des actions subventionnées par l’organisme de droit privé, et écarte toutes actions qui répondraient aux besoins des autorités qui les accordent. Ce faisant elle est assez fidèle à la jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière, résumée par la fiche du MINEFI sur les marchés publics et autres contrats qui met en avant trois éléments.
DOCTRINE OFFICIELLE
Fiche technique du Minefi « Marchés publics et autres contrats » : « Le juge utilise la méthode du faisceau d’indices pour distinguer les subventions des marchés publics. Trois indices sont principalement utilisés : l’initiative du projet, la définition des besoins et l’absence de contrepartie directe, les deux premiers se chevauchant partiellement.
3.1.1. L’initiative du projet Dans le cadre d’un marché public, le prestataire agit à la demande d’une personne publique pour répondre aux besoins qu’elle a elle-même définis. La subvention, en revanche, est destinée à soutenir financièrement une action initiée, définie et mise en œuvre par un tiers, éventuellement dans le cadre d’un dispositif incitatif mis en place par une autorité administrative.
Alors même que le besoin est défini par un tiers, dès lors que l’acheteur le reprend à son compte, il peut être regardé comme étant à l’initiative du projet qu’il définit. À l’inverse, la personne publique peut être à l’initiative d’une démarche de subventionnement (appel à projet, appel à manifestation d’intérêt). Mais dès lors qu’il ne spécifie pas les moyens à mettre en œuvre, qu’il laisse une liberté d’action, qu’il se contente d’énoncer les règles générales d’octroi de la subvention, il ne s’agira pas d’un marché public. Il convient de distinguer initiative du « projet » et initiative du « subventionnement ». Une personne publique peut ainsi prendre l’initiative de subventionner massivement une activité économique, de le faire savoir par un appel à projets, de définir précisément les critères d’octroi de la subvention, sans être à l’initiative des projets et sans craindre ainsi une requalification en marché public. Il en est ainsi, notamment lorsque la personne publique n’est pas à l’origine du projet proprement dit, objet du subventionnement, qu’elle n’en est pas responsable, qu’elle n’en définit pas les contours précis (même si les critères de subvention influencent profondément la façon dont la prestation sera délivrée), que le projet a été initié, défini en dehors d’elle ou qu’il préexistait à son intervention ou qu’il serait poursuivi sans son intervention (y compris si son intervention vient modifier profondément la façon dont le projet peut être géré ou dimensionné). Le deuxième indice, celui de la définition des besoins, apporte une précision déterminante à cet égard.
3.1.2. La définition des besoins Les marchés publics sont définis par la réalisation à titre onéreux de prestations répondant aux besoins de l’acheteur en matière de travaux, de fournitures ou de services. Un marché public implique non seulement l’impulsion du projet mais aussi sa conception et sa définition.
Il convient de distinguer la définition des besoins des critères d’octroi d’une subvention. La définition des besoins est réalisée au moyen de spécifications portant, par exemple, sur les caractéristiques précises d’une organisation à mettre en place qui exprimera les choix que la personne publique fait en la matière et qui devront être satisfaits par le titulaire du marché public. Le respect de ces choix par les soumissionnaires est déterminant, car c’est la personne publique qui assume la responsabilité du service. Les critères d’octroi d’une subvention vont porter sur des exigences de qualité, par exemple, tout en laissant aux tiers subventionnés le soin de déterminer la façon dont le service sera organisé, car la personne publique n’assume pas la responsabilité du service. Elle doit simplement s’assurer que l’usage des fonds qu’elle octroie n’est pas contraire aux objectifs généraux qu’elle a définis.
3.1.3. L’absence de contrepartie directe L’acheteur, qui accorde une subvention, n’attend aucune contrepartie directe de la part du bénéficiaire. Le juge considère qu’il y a marché public lorsque les sommes versées correspondent à des prestations de services individualisées, commandées par la personne publique dans le cadre de ses compétences et satisfaisant à ses besoins. L’absence de contrepartie de la subvention n’implique, toutefois, pas l’absence de conditions à l’utilisation des fonds pour son bénéficiaire. Dans la mesure où une subvention est subordonnée à un motif d’intérêt général, la personne publique peut subordonner son octroi à une utilisation déterminée des fonds ».
JURISPRUDENCE
CE 26 mars 2008, n°284412, Région de la Réunion : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la REGION DE LA REUNION a décidé, dans le cadre de ses compétences et après avoir défini ses propres besoins, de faire réaliser des prestations de formation afin de contribuer à la mise en oeuvre du plan régional de formation professionnelle des jeunes qu’elle avait arrêté en application des dispositions des articles 82 et 83, alors en vigueur, de la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat ; que les conventions signées en 1997, 1998 et 1999 entre la REGION DE LA REUNION et la société Formateurs de Bourbon avaient pour objet de confier à cette dernière une partie de ces prestations de formation, et que les aides financières qu’elles prévoyaient prenaient en compte l’intégralité des frais exposés par la société pour organiser ces formations ainsi que la rémunération des stagiaires »
La jurisprudence exige donc que l’initiative soit publique, que la définition des besoins soit publique et qu’il y ait équivalence des prestations pour que l’on soit en présence d’un marché public. La question demeure de savoir si c’est un faisceau d’indices qu’elle utilise, comme l’affirme la fiche technique, ou s’il s’agit de conditions cumulatives. Cette dernière interprétation pourrait conduire à faire échapper un peu trop facilement à la catégorie des marchés publics certains contrats. On peut penser que l’initiative peut ne pas être publique mais qu’il y aura quand même marché si cela recouvre des besoins et si le montant des subventions permet de couvrir les frais engagés.
S’agissant du critère de l’initiative, la distinction opérée par la fiche technique entre initiative privée reprise par la personne publique et inversement initiative privée mais qui laisse des initiatives à la personne privée provient de la circulaire du 18 janvier 2010 relative aux relations entre les pouvoirs publics et les associations.
Mais on peut se demander si cela est parfaitement conforme à l’esprit de la jurisprudence. La tendance est probablement à étendre la notion de marché public au détriment de celle de simple subvention. A titre d’exemple, le Conseil d’Etat a conclu à l’existence d’un marché alors même que la personne publique n’avait que très peu précisé le contenu de la prestation.
JURISPRUDENCE
CE 23 mai 2011, n°342520, Commune de Six-fours-les-plages : « Considérant qu’en vertu des dispositions du I de l’article 1er du code des marchés publics, les contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs et des opérateurs économiques publics ou privés pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services sont des marchés publics soumis aux dispositions de ce code ; qu’il ressort des pièces du dossier que la convention du 28 mars 2007, signée sans procédure de publicité et mise en concurrence, a été conclue à l’initiative la COMMUNE DE SIX-FOURS-LES-PLAGES, en vue de confier à un professionnel du spectacle des prestations d’exploitation de la billetterie et de promotion du festival des Voix du Gaou ; qu’elle prévoit ainsi la fourniture d’un service à la commune pour répondre à ses besoins, moyennant un prix tenant en l’abandon des recettes du festival et au versement d’une somme annuelle de 495 000 euros ; que, dès lors, la convention litigieuse doit être regardée comme constitutive d’un marché public de services ;
Considérant que la commune requérante ne peut utilement se prévaloir, d’une part, de ce que les sommes versées à la société étaient appelées subventions et, d’autre part, de ce que les personnes publiques peuvent accorder des subventions aux entreprises de spectacles vivants en application des dispositions de l’article 1-2 de l’ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles, lesquelles ne permettent pas de déroger, en tout état de cause, aux règles de publicité et de mise en concurrence prévues par le code des marchés publics ; qu’il résulte de ce qui précède que la commune ne pouvait conclure la convention litigieuse sans procéder aux mesures de publicité et de mise en concurrence applicables aux marchés publics de services ; »
Or les conclusions du rapporteur public, disponibles sur demande au service de diffusion du Conseil d’Etat, indiquaient que si l’objet du contrat était l’organisation de 9 concerts de variété nationale ou internationale au cours de la période du 8 juillet au 8 août des années 2007 à 2009 moyennant le versement d’une subvention de 495 000 €, en sens inverse la société entendait diriger la conception et la définition du projet de festival, la seule contrainte imposée étant de ne pas nuire à l’image de la commune, de mentionner sa participation et de faire figurer son logo dans les campagnes de promotion, la convention stipulant en outre que la commune n’avait de responsabilité ni dans la production et la qualité des spectacles, ni dans la billetterie et le tarif des spectacles, ceux-ci étant placés sous la responsabilité financière, morale et artistique de la société. Malgré cette faible implication de la commune dans la définition du contenu de la mission, le Conseil conclut donc à l’existence d’un marché.
3.1.2 – La distinction du marché et de l’aide d’Etat
Celle-ci intervient dans des hypothèses où est généralement recherché, par la personne publique, la qualification de marché afin d’échapper au risque de voir le versement d’une somme d’argent qualifié d’aide d’Etat,